… Apprendre à dire NON! à une gestion de la grippe aviaire totalement inefficace contre les principes du Vivant.
Après son passage chez Nicolas Petit, éleveur Charlotte Drapeau, étudiante de l’Ecole d’Agroécologie Voyageuse écrit cet article, complété par Opaline Lysiak, accompagnatrice de l’Ecole, avec les informations récoltées en avril. Que vous soyez éleveur ou simple mangeur, notre intention est de vous donner les informations que les médias ne diffusent pas, pour que vous puissiez agir auprès des élevages de plein-air, et diffuser les informations.
Portez-vous de l’attention au bien-être des animaux dont vous consommez les produits ? Pensez-vous que la santé des paysans est tout aussi importante que celle de leurs animaux, et que les deux sont fortement corrélés ? Saviez-vous que chaque année des millions de volailles sont abattues en France et en Europe, qu’elles soient malades ou saines ? Saviez-vous qu’il est obligatoire d’enfermer ses volailles en France depuis novembre 2021 ? Cela génère une pression importante sur les éleveurs chaque année : les mesures drastiques appliquées sont inefficaces et impactent fortement l’activité de la ferme.
Cette année, c’est le quatrième épisode de grippe aviaire depuis 2015, le quatrième épisode en 6 ans… l’épisode de trop ? Certes, le virus est très virulent et contagieux. Il entraîne souvent la mort rapide des animaux. Dans des journaux comme Le Figaro, on peut lire » Un triste record! La grippe aviaire a provoqué la mort de 15 millions de volailles en France. Certaines ont été directement atteintes par la maladie, d’autres abattues préventivement« . Cette formulation ne permet pas d’envisager la vérité : la grippe aviaire n’a pas provoqué la mort de 15 millions de volailles. Les abattages préventifs représentent une part importante de l’ensemble des abattages.
Intensification + concentration = terrain favorable aux formes pathologiques du virus
Il existe de très nombreux virus grippaux naturels et peu pathogènes. Le virus actuel de la grippe aviaire est issu de mutations d’un virus « banal » faiblement pathogène chez les oiseaux. La contamination se fait par les oiseaux sauvages (la source « originelle » mais qui mute en lien avec les élevages industriels) mais aussi, et surtout, par les véhicules, les hommes, les transports d’animaux… La propagation est facilitée dans les élevages où le passage est important, des camions qui transportent les animaux aux aliments ou tout autre produit lié aux filières longues, industrielles. Dans les bâtiments fermés la densité de volailles est surestimée et la ventilation n’est pas suffisante. Et la perte de biodiversité au sein des élevages, avec des races de plus en plus uniformes y compris dans les poulaillers de particuliers rend difficile le déploiement d’une résistance chez ces animaux. Pour le GIE Zone Verte, « Lorsque l’on sait qu’un virus est une information génétique (brin d’ARN ou d’ADN), il est évident que l’élevage des volailles, tel qu’il est organisé aujourd’hui, est très favorable à la diffusion de cette information virale d’autant plus que la filière intensive et/ou industrielle concentre en permanence un grand nombre d’animaux sensibles, du même âge, privés de diversité génétique et soumis à une alimentation industrielle intensive elle aussi très peu diversifiée« .
L’élevage plein air dans son sens le plus noble (où les animaux peuvent exprimer leur comportement naturel notamment par la présence d’arbres sur les parcours et une taille des bâtiments qui permet à tous les animaux de sortir) crée une résilience à la maladie et permet d’éviter les troubles comportementaux liés au confinement, d’éviter l’augmentation de l’humidité ambiante et des taux d’ammoniac, responsables d’irritations et de maladies « d’intérieur » liées à l’élevage enfermé. La maladie est l’expression par les animaux de conditions de vie insupportables.
Une « stratégie » de lutte violente qui ne tient pas compte de la spécificité de l’élevage plein-air
Lorsqu’un cas est avéré dans un élevage, l’ensemble des volailles sont abattues. La ventilation puissante des gros bâtiments fonctionne comme un « canon à virus » et diffuse le virus jusqu’à 1 km autour des bâtiments, jusqu’à la faune sauvage… La densité d’animaux des élevage intensifs est donc en cause dans la diffusion du virus dans les élevages alentours. Un abattage préventif peut être effectué sur arrêté préfectoral dans les fermes les plus proches. Le déplacement des animaux vivants est aussi limité à un périmètre défini lorsqu’un cas est avéré. Alors, des couvoirs ne peuvent plus approvisionner certains éleveurs, des abattoirs ferment et les paysans ont des trous de production. Toute la filière est impactée, et les éleveurs ne sont pas dédommagés. C’est ainsi que les petites exploitations proches de l’autarcie, moins atteintes par la maladie du fait de la résilience de leurs agroécosystèmes, sont atteintes par des règles de biosécurité et des réglementations qui ne sont pas faites pour elles, mais bien pour des systèmes industriels. « Ces mesures d’enfermement n’ont pour seul but que de maintenir le statut indemne vis-à-vis de la grippe aviaire, afin de conserver les échanges internationaux. Cela ne correspond pas du tout au projet et objectifs des éleveurs de volailles plein-air qui fonctionnent en circuits-courts« Coralie Amar, vétérinaire spécialisée en agroécologie.
D’autres mesures sont l’enfermement des animaux et la réduction de la taille des parcours extérieurs sur autorisation (de 2 m à 0,5 m par volaille, une division par 4!). Depuis le 4 novembre, le gouvernement oblige l’enfermement de ces animaux dans toute la France. Une aberration quand on sait que la plupart des parasites sont développés lorsque la concentration des animaux est trop importante. Est-ce qu’entasser des animaux sains, alors qu’ils n’ont jamais vécu « confinés » ce n’est pas se précipiter vers d’autres problèmes sanitaires ? Est-ce que ce n’est pas les “mener à leur fin”? Certaines régions qui ne sont même pas touchées par l’épidémie et hors des couloirs de migration localisés, ont des volailles enfermées 9 mois sur 12, tout en vendant des produits “plein-air”. Seulement pour un éleveur, il est impossible et aberrant de claustrer les animaux dans des bâtiments utilisés pour les abriter, il est impossible d’enfermer des animaux qui ont déjà vécu dehors. Il est impossible d’élever sans antibiotiques des animaux sur des surfaces si restreintes. Il est tout simplement impossible d’enfermer 12 semaines, sans souffrance, des races à croissance lente. Les élevages ont alors de plus grandes pertes, à cause de l’agressivité qui se développe chez les volailles stressées en raison de la claustration, de la perte de qualité de leurs produits (développement musculaire moins important, alimentation peu variée…). En effet, ce sont des animaux qui ont besoin d’espace, de courir, de fouiller le sol, de se percher.
Une exploitation saine peut voir l’entièreté de ses animaux abattus, parfois avec des méthodes cruelles (un éleveur raconte comment on lui a demandé de couper la ventilation de son bâtiment et laisser mourir ses bêtes, puis ensuite de les ramasser lui-même). Je vous laisse imaginer le désarroi d’un éleveur qui lutte pour la santé de ses bêtes lorsqu’il voit la benne de l’équarrisseur remplie et l’exploitation vide de vie (sans parler du porte monnaie). Les paysans qui se retrouvent… comme des canards boiteux. Du jour au lendemain, leur métier peut ne plus avoir de sens, leur vie peut basculer, ils/elles se sentent coupables du mal être de leurs animaux. Les valeurs, qui se reflètent dans leurs choix de production, sont réduites à néant. Le témoignage de Nicolas Petit, qui a créé la « Chronique d’un Paysan » est poignant (vidéo ci-dessous). Le métier de paysan est déjà difficile; il le deviendrait encore plus car les éleveurs ne savent plus s’ils ont le droit d’élever des volailles, si elles vont rester en vie jusqu’à demain. A quoi bon élever des volailles, si on doit les enfermer pour continuer notre activité ?
Pour la Confédération Paysanne, dont nous conseillons fortement la lecture du Pacte pour une Gestion Efficace de l’Influenza Aviaire « le Gouvernement a beau jurer la main sur le cœur qu’il défend l’élevage plein air, le contenu des arrêtés est sans appel : il crée un droit de produire pour les industriels et une impossibilité de produire pour les éleveurs et éleveuses plein air ».
Aujourd’hui des milliers d’éleveurs plein-air se retrouvent sans solutions. En tant que consommateur, saviez-vous que les oeufs plein-air ne le sont plus vraiment pendant les hivers épidémiques ? Cautionnez-vous la maltraitance animale et l’enfermement systématique d’une espèce ? Un enfermement totalement injustifié : dans son rapport du 26 mai 2021 sur la campagne 2020-2021 de grippe aviaire, l’ANSES, après analyse de près de 500 cas de grippe aviaire du Sud Ouest, n’en a trouvé que 3 potentiellement imputables à la faune sauvage, le reste étant directement imputable au modèle de production industrielle.
Une stratégie qui respecte le Vivant est possible !
Le problème vient des élevages industriels et leurs bâtiments à la densité de volailles phénoménale, aux modes de production, conditions d’élevage, état de santé des animaux, système immunitaire déficient lié à des environnements aseptisés. Les premiers cas de grippe aviaire de 2022 ont été recensés dans des « élevages » de 16000 et 30000 volailles qui ne sortent jamais. Pourtant, ce sont ces même élevages qui sont protégés, puisque non atteints par la réglementation : leurs volailles sont déjà à l’intérieur.
Même si nous contredisons certains médias, scientifiques et le gouvernement, le confinement de tous les animaux n’apparaît pas comme une solution efficace. Depuis l’automne 2021, 16 millions de volailles ont été abattues en France, 20 millions en Italie, on parle de « massacre des poulets » ! La Confédération Paysanne appelle à faire baisser les densités de volailles de certaines zones (Sud Ouest) et à réduire la fragmentation de la filière via le flux important d’intervenants. De plus, il paraît important que ces animaux continuent de former leurs défenses immunitaires en allant dehors et en variant leur alimentation naturellement.
Alors que pouvons-nous faire ?
Vous qui mangez sûrement des oeufs et/ou de la viande de volaille, si vous sentez une connexion avec ce sujet, comprenez que la situation évoluera si les citoyens font pression sur le gouvernement pour que la réglementation évolue. Vous pouvez :
–> Soutenir les éleveurs plein-air en adhérant au collectif Sauve Qui Poule. Diffuser autour de vous cet article et les Chroniques du Paysan de Nicolas Petit.
–> Soutenir les propositions de la Confédération Paysanne et le MODEF qui ont demandé à la DGAL :
– Que les décisions d’abattages restent prises sur la base d’analyses positives, c’est à dire abattage des animaux des élevages foyers, abattage sur le lieu de l’élevage.
– Que les déplacements soient limités au maximum et autorisés après analyses négatives.
– Que, pour ralentir la progression du virus, l’élevage extensif soit favorisé au lieu de préconiser la claustration d’animaux dans des bâtiments où ils se retrouvent à haute densité.
– De permettre d’amener à terme tous les animaux sains puis d’effectuer un vide sanitaire prolongé si nécessaire.
– D’ouvrir une concertation pour voir comment dés-intensifier la densité de palmipèdes sur la zone le plus efficacement et le plus rapidement possible.
– De mettre en place des expérimentations (si les animaux sains ne sont pas éliminés) afin de mieux comprendre pourquoi et dans quelles conditions des animaux résistent mieux à l’épizootie.
–> En parler, de vive voix, avec toutes les personnes que vous connaissez et qui mangent des oeufs et du poulet. Et surtout, rejoindre les éleveurs et éleveuses qui ont besoin de toutes les énergies pour mettre en place une stratégie de lutte en non-violence, et changer la réglementation. Pour le Vivant. Pour que chaque ferme ou chaque territoire reprenne en main l’autonomie de la filière, de la naissance à la mort de l’animal.
–> Imprimer cette lettre et l’envoyer à l’Elysée. Pas besoin de timbre, juste une enveloppe et vous indiquez l’adresse, elle est écrite en bas de la lettre.
! Disclaimer ! Nous ne sommes ni professionnelles de la santé animale ou humaine, ni éleveuses ou vétérinaires. Charlotte est jeune et optimiste, elle voyage et rencontre des personnes qui la font cheminer dans mes réflexions. Elle s’informe et aimerait informer à son tour. Elle rêve d’un monde plus juste où les valeurs communes d’une société réintéressée par le Vivant, orienteraient la cohérence de nos actions ! Cet article reflète ses réflexions suite à son stage effectué à la Ferme en Coton dans le Gers, le visionnage de la “Chronique d’un Paysan” réalisée par Nicolas Petit, la lecture d’articles, la rencontre d’éleveurs et d’éleveuses… Et Opaline, passionnée par le poulailler mobile en agroforesterie a travaillé dans plusieurs fermes où les volailles sont en plein air, et est profondément touchée par une injustice : risquer de détruire la paysannerie pour préserver des « usines » de production et les intérêts uniquement économiques.
Sources et Ressources
Collectif Sauve Qui Poule, adhérer
Pacte pour une gestion efficace de la Grippe Aviaire, Confédération Paysanne, 2021
Grippe aviaire : le Ministère interdit l’élevage plein air en France, Confédération Paysanne
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