Je découvre l’agriculture de conservation…

…grosse claque pour une ingénieur agro qui n’y connaît rien (en fait)

Un article écrit par Camille Perseval. Elle vient de terminer ses études d’ingénieur agronome, et s’engage en tant que bénévole dans le projet Les Agron’Hommes pour Vivre et Créer l’Agroécologie par l’Expérience dans les Fermes. C’est dans ce cadre qu’elle écrit cet article.

Des tournesols ont poussé dans le couvert semé de l’un des champs observés, tels de petits soleil d’automne. Nous sommes pour la première de nos trois visites de la journée du 8 novembre chez Bertrand Paumier. Cette journée m’a permis d’être introduite à l’agriculture de conservation de manière concrète auprès de « faiseurs » appartenant à l’association BASE Bretagne. BASE – pour Biodiversité, Agriculture, Sol et Environnement – c’est un réseau d’échange et de partage d’expériences en agriculture de conservation. 

Notre équipe était composée d’Opaline Lysiak – créatrice du projet Les Agron’hommes [1], Nicolas Minary – créateur de l’application Landfiles [2] et moi. Dans l’ordre, nous sommes allés à Maure de Bretagne pour voir Bertrand Paumier, éleveur de vaches allaitantes et céréalier. Puis nous avons rendu visite à Pierre-Henri Hamon à Guer, céréalier et gérant d’une Entreprise de Travaux Agricoles. Enfin, nous avons terminé en rencontrant Nicolas Gorin à Pipriac, éleveur de porcs.

Etant donné que ma formation d’ingénieur agronome ne m’a pas donné toutes les clés de compréhension technique de ce que j’ai pu voir et entendre au cours des visites, je propose d’aborder les points communs entre les démarches et points de vue qui m’ont frappée lors de ces rencontres.

« Le sol est le premier outil de travail du paysan. C’est LA BASE » 

C’est ce qu’affirme Bertrand Paumier. Cette phrase nous introduit dès la première visite à l’importance de l’agriculture de conservation dans le cadre d’une démarche agroécologique.

Une des clés pour entamer la transition vers l’agriculture de conservation est la connaissance. Ma formation m’y a sensibilisée. C’est bien plus que d’arrêter d’utiliser la charrue. Et les agriculteurs rencontrés l’ont souligné : « Quand tu n’as pas la connaissance à l’hectare, tu passes à côté de certaines choses » avoue Nicolas Gorin. Il y aurait donc comme une sorte de rendement de la connaissance ? Connaissance qui permet de comprendre, prendre du recul. Acquise par la formation initiale, mais aussi par toutes les sources d’information qui existent actuellement (internet, groupes d’agriculteurs, techniciens-conseillers…).

L’innovation…

Cette connaissance sert de base à l’innovation, au test de nouvelles pratiques, particulièrement celles associées à l’agriculture de conservation. Demain, le métier de paysan est encouragé à évoluer vers celui de paysan-pionnier. L’innovation est retrouvée à tous les niveaux du système de production: itinéraires techniques, gestion des cultures et des couverts… 

J’ai vu des parcelles de maïs semé en double densité sur le rang avec 150 cm d’écartement pour permettre le développement de couverts dans l’entre rangs, des céréales précoces (blé et orge), d’orge semée avec du trèfle d’Alexandrie, ou encore du colza « opportuniste » issu d’un couvert végétal. Lors de ces visites, j’ai constaté à quel point ces innovations s’appuyaient également en partie sur les innovations en agro-équipement (outils de travail du sol, semoir…). Elles appellent aussi à modifier l’organisation du travail, avec une part importante accordée à l’observation : « L’observation est la clé », en atteste Bertrand Paumier. De fait, cette démarche d’innovation entraîne un changement dans la perception qu’a l’agriculteur de son métier. En affirmant qu’il « [fait] des vaches pour ses cultures et non des cultures pour ses vaches », Bertrand Paumier va dans ce sens.

… qui va de pair avec l’adaptation…

Ces innovations sont intrinsèquement liées à l’adaptation. Bertrand Paumier nous a évoqué le fait que maintenant il serait « incapable de nous dire précisément quelles sont ces rotations, car elles sont amenées à évoluer en fonction de ce qui pousse et comment ». « Aujourd’hui, on est obligés de s’adapter » ajoute Nicola Gorin.

… la prise de risques et l’engagement

Innovation et adaptation sont associées à une prise de risques. Bertrand Paumier évoque le fait que, ce risque est minoré par l’élevage de vaches allaitantes, qui permet de « valoriser les cultures ratées » et de diversifier ses productions (ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier). Selon Nicolas Gorin, ce risque est indispensable : « on n’a pas le choix de sortir de sa zone de confort, et il faut bien passer le pas à un moment, à partir des connaissances acquises ».

Face à ce risque, l’engagement des agriculteurs transparaît : les trois agriculteurs rencontrés investissent dans l’équipement et s’investissent dans la création de connaissances en agriculture de conservation. Également, ils s’engagent à communiquer auprès soit de leurs clients et auprès des conducteurs de Coopératives d’Utilisation de Matériel Agricole (CUMA) pour Pierre-Henri Hamon, soit auprès de leurs voisins et des adhérents de leur CUMA pour Nicolas Gorin et Bertrand Paumier.

L’importance de capitaliser sur l’expérience acquise…

Il est aujourd’hui crucial de collecter les fruits de ces essais, de capitaliser sur le savoir tiré de ces derniers. Mais le système actuel semble lui aussi ne plus répondre aux besoins actuels d’une collecte d’expériences qui soit simple et commune à tous les acteurs du monde agricole. Celle-ci doit permettre à chacun de ces acteurs 1) de participer à l’acquisition de connaissances, 2) de faciliter cette collecte grâce à un outil unique et pratique et 3) de partager ces connaissances avec l’ensemble de la communauté, et de pouvoir les valoriser. Un savoir par et pour tous.

L’application Landfiles [2], mise au point par Nicolas à l’aide de son équipe, propose une piste pour répondre à ces enjeux : elle permet de collecter et partager sur un outil unique l’ensemble des données, en proposant une interface et certains services qui s’apparentent au réseau social.

… et d’échanger en groupe

Les agriculteurs rencontrés lors de cette journée ont souligné l’importance de ne pas rester seul, de faire partie d’un groupe, faisant écho avec les entretiens que j’ai eu avec d’autres agriculteurs au cours de mon parcours, formation ou autres expériences professionnelles. Nicolas Gorin le présente comme une clé de réussite à sa transition : bénéficier de l’expérience, des connaissances et du recul des autres. A cela s’ajoute l’effet moteur du groupe, de l’émulation. Se sentir épaulé et en cohérence avec d’autres.

La formation : moteur de ces innovations

Pour finir, la formation est un moteur de toutes ces innovations : l’intérêt pour l’agroécologie doit être éveillé en milieu scolaire, avec le plus d’exemples possibles donnés/rencontrés. Le but est de donner des fondations sur lesquelles la créativité peut s’appuyer. 

Après une formation en école d’ingénieur « classique », je me rends compte qu’il me manque d’avoir rencontrés des agriculteurs, d’avoir eu des notions concrètes et moins généralistes. En plus de réinventer nos systèmes de production agricole, ne serait-il pas temps de refonder le système de formation « classique » ? 

Des formations alternatives sont en train de germer, telles que celle de L’Ecole d’Agroécologie Voyageuse du projet Les Agron’Hommes [1], et souhaitent adresser certains de ces enjeux. Le principe de l’Ecole d’Agroécologie Voyageuse ? Recréer de la fertilité en proposant à des étudiants motivés de rencontrer des agriculteurs de plusieurs pays, d’apprendre l’agroécologie en travaillant au quotidien sur leurs fermes et de co-construire avec ces derniers de nouvelles innovations. Le but est de proposer un parcours de ferme en ferme cohérent avec les projets d’avenir des jeunes et les compétences qu’ils souhaitent acquérir (appréhender une démarche d’agriculture syntropique, d’agriculture de conservation, d’élevage holistique…).

[1] : Site internet de l’association Les Agron’Hommes et projet d’Ecole d’Agroécologie Voyageuse : https://lesagronhommes.com

[2] : Site internet de l’application Landfiles : https://landfiles.com/