De retour du Chili du fait du confinement, Lucie Maurel adapte son parcours pour s’immerger dans une jeune agroforêt en France. Elle nous livre ici le second épisode de son guide de survie: planter des arbres, comme Steven Werner.
Un petit coin du Tarn, des collines verdoyantes et des hameaux épars. Au détour des vignobles, prairies et champs de blés, un petit terrain détonne. Des arbres de toutes sortes sont plantés, en ligne. Du fruitier mais aussi du saule, du peuplier ou du paulownia, cet arbre à l’étrange silhouette de lampadaire. Rapprochons-nous, il y a aussi des pieds de cassis, de groseilles, des artichauts, des fèves, des vignes grimpant sur les saules, des fraisiers, des salades, des betteraves… Et puis une panoplie de jeunes arbres sortis de graine qui découvre la lumière du soleil ce printemps. Quelle est cette agriculture étrange qui mêle arbres et cultures annuelles ?
Qui ose planter si près les uns des autres tous ces arbres ? Qui semble favoriser autant les plantes mâtures que les jeunes pousses ?
Il s’agit d’agriculture syntropique, une agriculture qui prône la diversité et une évolution du système agricole vers un état écologique d’abondance. Elle a été développée par le chercheur et agriculteur suisse Ernst Götsh au Brésil. Steven Werner, un de ses élèves, expérimente les techniques sous notre climat depuis 2017. La syntropie désigne le mouvement de convergence d’un état simple et désorganisé vers un état complexe organisé ; par différence à l’entropie qui va d’un état complexe à un état simple. Le monde vivant converge vers un état d’abondance, dans lequel on peut récolter sans appauvrir. Ce qui me séduit particulièrement, c’est que tout est basé sur la compréhension des mécanismes du vivant, de l’échelle moléculaire à l’échelle de l’écosystème.
L’Homme, au même titre que n’importe quel animal, a sa place dans l’écosystème. Il modifie son environnement pour produire de la nourriture. Il provoque volontairement des « perturbations » qui favorisent la croissance végétale. De la même façon qu’un éléphant qui coucherait des arbres sur son passage pour se nourrir des fruits. Ernst Götsh parle non pas de compétition mais de coopération inter et intra spécifique. Le défi agricole devient tant technique, que scientifique et philosophique.
Concrètement, le point fondamental est de comprendre les besoins en lumière de chaque plante, afin de lui permettre de croître dans les conditions optimales. En effet la croissance de la plante est permise par la photosynthèse : une réaction qui permet de synthétiser les sucres nécessaires à partir de dioxyde de carbone, d’eau et d’énergie lumineuse : la réaction est donc endothermique, elle nécessite une entrée d’énergie.
C’est ce qui explique en partie qu’il fasse plus frais dans une forêt que sur une dalle de bitume.
Par opposition, la respiration est une réaction exothermique et entropique, qui libère de l’énergie en transformant une molécule complexe de sucre en dioxyde de carbone et en eau.
Le système agricole comprend donc plusieurs strates (ou étages) de végétation. La taille régulière d’arbres à croissance rapide permet de faire rentrer la lumière et ainsi d’augmenter la photosynthèse sur les strates inférieures.
Cette taille provoque au niveau racinaire, la libération d’un signal de croissance capté par les plantes aux alentours via le réseau mycorhizien (ces associations plante-champignons qui relient les racines entre elles).
Les différentes strates permettent de capter un maximum de lumière, source d’énergie du végétal.
Le milieu est plus humide, plus frais, le vent s’y engouffre moins. Les vers de terre et autres organismes décomposeurs du sol trouvent quotidiennement leur lot de victuailles, qu’ils transforment en éléments nutritifs disponibles pour une belle croissance des végétaux.
Et pourquoi planter si dense ? En forêt –l’état d’abondance des écosystèmes sous nos latitudes – le sol couvert de litière abrite des plantes à différents stades de croissance avec une très forte densité d’espèces et d’individus. Dans nos agrosystèmes, le sol doit être nourri en permanence à partir de la matière végétale produite et décomposée sur place ; des perturbations régulières doivent maintenir le système dans une dynamique de croissance ; une succession végétale doit être réfléchie dans le temps et les plantes doivent occuper les différentes strates.
Le nom de la parcelle de Steven prend alors tout son sens, le jardin spatio-temporel.
Steven nous raconte: « Un paysage se transforme rapidement, dans chaque climat et sous toutes les latitudes. Nous avons de puissants alliés pour récupérer des terres dégradées : les arbres à croissance rapide, souvent mal aimés pour leur caractère invasif, mais qui sont des atouts majeurs pour créer rapidement un environnement arboré. Si sur le même espace nous plantons des arbres à croissance rapide, à croissance plus lente et des arbres fruitiers, nous assurons des forêts productives pour nous-mêmes, pour nos enfants et pour les générations futures. Nous viendrons accélérer la succession végétale en coupant et laissant sur place les espèces qui ont fini leur cycle, nous dynamiserons en élaguant les arbres pour qu’ils repoussent vigoureusement.
Nous travaillerons ainsi dans un environnement agréable et produirons une alimentation saine, pleine des vitamines et des minéraux que les arbres savent si bien aller puiser dans les profondeurs de la terre. Avec cette forme d’agriculture nous tendons à nous affranchir de tout intrants et traitements, qu’ils soient chimiques ou naturels«
« L’intrant principal est la connaissance du vivant », nous rappelle souvent Ernst Götsch. »
Rapidement, les résultats sont là. Cette année, ce sont une quinzaine d’espèces maraichères, autant d’espèces fruitières et des plantes aromatiques, qui se côtoient sur un demi hectare. Chaque élément joue son rôle. L’arbre est l’allié de l’agriculteur, puisant les minéraux, structurant le sol de ses racines, protégeant les cultures et les hommes du soleil ardent. Il « suffit » d’apprendre à le connaître, à observer le fonctionnement de nos forêts.
La plus grande récompense est probablement de voir son champ en évolution et en amélioration permanentes, et pouvoir aller faire sa sieste sous l’ombre des peupliers qui chantent dans le vent.
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L’auteure
Quelles pourraient-être l’agriculture et la société, si elles ne s’étaient pas développées ces dernières années dans un système occidental mondialisé ?
Lucie Maurel est passionnée par les voyages, l’étude des communautés humaines traditionnelles et leur lien avec l’agroécologie. Elle réalise ce projet lors de sa césure d’ingénieur agronome en 2020, soutenue par le projet AgroSys de son école Montpellier SupAgro, et fait partie du projet Les Agron’Hommes.