L’agriculture syntropique: l’Homme dans le Macro-organisme Terre

Par Pablo Pailhes, étudiant de l’Ecole d’Agroécologie Voyageuse, parrainé par Pour Une Agriculture du Vivant

Mon parcours avec Les Agron’Hommes a été stoppé dans son élan: le confinement à jeté sur moi comme sur nombreux d’entre nous une étrange sensation. 

Un sentiment inconnu, parfois angoissant, mais surtout une forme d’espoir que nous pouvons sortir de cette crise grandis. Oui, positivons. Ce virus nous mets face à certaines réalités. Il nous interroge sur des points fondamentaux de nos modes de vie et nous demande, nous oblige même, à prendre le temps. Prendre le temps de réfléchir à l’essentiel. Prendre le temps d’imaginer je l’espère un monde plus sobre, plus juste et plus solidaire. Dans ce sens, il m’a laissé le temps ce matin d’appeler un des agriculteurs à qui je devais rendre visite: Grégoire Servan. Inspirant.

« Pour moi l’agroécologie en une phrase ça serait créer des agro-écosystèmes, donc avec des objectifs de production, qui se rapprochent le plus possible des écosystèmes naturels. » 

Grégoire est un jeune ingénieur agronome de formation et se définit comme « un pur néo-rural ». Il a grandi dans la région Lyonnaise, y a fait ses études puis est parti deux ans au Brésil avant de travailler un an et demi à l’Association Française d’Agroforesterie. En mars 2018, il s’est installé en tant qu’agriculteur dans le Gers avec Guillaume et Léonard. Ensemble, ils ont créé la Ferme des Mawagits dans le but d’en faire un lieu pédagogique dédié aux pratiques agroécologiques. Ils y ont une activité maraîchère sur 2 ha, ont implanté de nombreux arbres et vendent aussi des jeunes plants de légumes issus de graines sélectionnées sur la ferme.

Même si son quotidien de maraîcher n’est pas particulièrement perturbé par le confinement, la discussion commence inévitablement par le sujet du moment. L’occasion de découvrir la vision du monde de Grégoire: une vision systémique, reposant sur la compréhension du fonctionnement naturel des écosystèmes, où les événements actuels apparaissent comme un signal pour l’espèce humaine, un rappel à l’ordre. 

« De plus en plus, je vois le monde comme une seul entité. Nous, l’espèce humaine on fait partie d’un seul grand macro-organisme. Et dans un organisme, quand une cellule fait n’importe quoi, il y a un contrôle de rétroaction pour remettre de l’ordre. Je pense que le virus joue exactement ce rôle.» 

Pour les personnes initiées à l’agriculture syntropique, cette vision des choses ne va pas sans rappeler les principes évoqués par Ernst Gotsch, fondateur de ce type d’agriculture. Grégoire a découvert l’agriculture syntropique au Brésil où il a étudié pendant deux ans.  « Dans tous les systèmes qu’on voit en non-travail du sol, en biodynamie ou autres, il y a vraiment des trucs supers. 

« Il y avait toujours un moment où je voyais une limite ou une sorte de contrainte. Et en agriculture syntropique, tu n’as pas cette impression. »

L’agriculture syntropique se base sur le processus naturel de la régénération des écosystèmes dans le but d’y introduire des espèces comestibles et commercialisables. Le principe est de remettre les plantes dans les conditions de lumière et de fertilité qu’elles auraient dans leur milieu naturel. Mais attention, les objectifs de production de l’agriculteur sont essentiels. 

« L’agriculture syntropique c’est pas seulement planter très dense et respecter les strates. Il y a vraiment un but de production. Donc tu vas choisir 2,3,4 ou 5 espèces pour lesquelles tu as un marché derrière et tu les mets dans les condition optimales pour qu’elles produisent ».  

Ce type d’agriculture émerge tout juste en France. Grégoire en a implanté 1000 m2 en parallèle du maraîchage pour continuer de se former sur sa parcelle. Mais son but est de transférer essentiellement son activité sur cette méthode d’ici quelques années. Ici, pas de fertilisants, pas d’intrants chimiques, pas d’irrigation après la plantation de la parcelle. « Le but est de limiter au maximum les apports exogènes ». L’agriculteur est simplement là pour perturber régulièrement le système afin d’assurer un dynamique de croissance. Les adventices ne sont pas considérés comme tel. Si une plante réussit à s’installer c’est qu’elle réalise une fonction mieux qu’une autre dans l’écosystème. De même pour les ravageurs, la présence d’insectes ou de maladies est un signal indiquant qu’une plante n’est pas dans les conditions nécessaires à son bon développement donc pas à sa place dans l’écosystème. De quoi nous en apprendre beaucoup sur notre relation à la nature en ces temps particuliers…

« Pour moi, le collectif c’est vital. Si c’est fait avec intelligence et respect, c’est génial. »

L’installation sur la ferme avec Guillaume et Léonard “s’est faite naturellement” selon Grégoire. Mais si ce pas est parfois dur à passer pour des jeunes ayant des projets agricoles, il admet qu’il ne serait pas installé seul. La structure collective offre une certaine flexibilité qui, selon lui, est nécessaire. “Si tu veux prendre 3 jours de congés ou si tu te bloques le dos une semaine, quand tu es seul, tu es embêté. En collectif tu as cette possibilité.”De la même manière, après 2 ans d’installation, Léonard a pris un peu de recul pour de nouveaux projets personnels. Le collectif doit pouvoir s’adapter aux besoin de chacun. 

La particularité des Mawagits est leur fonctionnement collectif sur le même atelier de maraîchage. Et quand on lui pose la question du fonctionnement pour la prise de décision, Grégoire y voit des avantages et des inconvénients. “C’est génial car tu as trois personnes donc trois cerveaux pour réfléchir et trois fois plus de motivations, mais parfois trois points de vue techniques différents et au début c’était quand même un peu compliqué à gérer”. Lorsque des décisions doivent être prises rapidement par exemple, le temps pour la concertation n’est pas forcément disponible. Cela demande que tout le monde ait sa part de responsabilité sur l’une ou l’autre des cultures. Cette solution permet ainsi à tout le monde de s’exprimer en terme d’itinéraire technique. 

« Dans un collectif, la clef de voûte c’est la communication, le respect de l’autre bien évidemment et une part d’autonomie de chacun dans le collectif. » 

Ce fonctionnement laisse aussi la place à la créativité puisque sur leurs parcelles, ils expérimentent différentes techniques agroécologiques. Certaines planches sont menées en non-travail du sol, d’autres avec si nécessaire. Certaines cultures sont implantées au milieu des lignes d’arbres pour tester le maraîchage en agroforesterie. « En fait on ne s’interdit rien» convient Grégoire. 

Depuis un an, Johanne s’est installé sur leur ferme et mène une activité de pépinière de plantes aromatiques et médicinales. Elle bénéficie d’un commodat, une mise à disposition d’un bout de terrain à titre gratuit. Son activité permet de collaborer lors du travail quotidien, pour la commercialisation ou de partager du matériel existant. Un magasin est par exemple géré sur la ferme pour fournir des produits aux habitants sur la commune “en ultra-local”. De cette manière Johanne participe au collectif des Mawagits sans être engagée financièrement dans l’activité maraîchère. On a différents niveaux d’implication dans le collectif”, dit Grégoire, cela permet à chacun de trouver sa place dans l’écosystème de la ferme.

A l’avenir, Grégoire espère pouvoir continuer et augmenter cette forme de collaboration. Un des objectifs serait d’acquérir quelques nouveaux hectares pour permettre à un paysan boulanger de s’installer et enrichir la diversité de profils sur la ferme. Un appel du pied pour inciter de jeunes agriculteurs à se lancer dans une telle aventure. “Il faut faire le bon choix entre ne pas se précipiter et ne pas laisser des bonnes occasions s’en aller. Mais à un moment il faut se lancer!

D’un point de vue économique, il voit l’avenir très sereinement. “On a un système à quasiment 0 charges. Cela nous permet d’avoir un revenu correct et d’ici un an ou deux, on pourra expérimenter des systèmes en prenant plus de risques.” 

Sébastien Angers, un autre agriculteur que j’entendais parler récemment disait : “C’est dans le partage, la collaboration qu’on va réussir à faire de l’agroécologie rentable et productive.” Des terrains prêtés à titre gratuit, une structure collective, des systèmes à très faible charge. Ce sont ces clés qu’utilisent de jeunes agriculteurs pour s’installer et obtenir une viabilité de leur système après quelques années. Cette nouvelle génération de paysans ne peut pas ou ne veut pas s’endetter à vie. Ils veulent expérimenter, explorer des solutions tant sur le plan technique que sur le plan humain sans que leurs décisions ne soient dictées par des contraintes économiques à long terme. Ils veulent pouvoir faire des erreurs et avoir le choix.

L’agroécologie ne peut pas se résumer à des techniques agricoles. Il s’agit bel et bien de personnes qui veulent recréer du lien avec la Nature et les Hommes. Il est de ces rencontres, ces échanges qui vous confortent dans vos pensées, qui vous inspirent à entreprendre les actions que vous avez derrière la tête. Grégoire en fait partie car il transporte une énergie positive et une sérénité dans une situation où nous en avons besoin. 

Ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas là d’un détachement avec le monde actuel mais d’un choix de vie. Un alignement de ses actions avec la vision du monde qu’il désire pour demain.

“Nous sommes à un point de bascule” nous dit-il. Et j’en suis convaincu, nous sommes nombreux à en être conscients. A nous de saisir cette opportunité pour se mettre en action.