REGARDS CROISÉS SUR L’AGRICULTURE SYNTROPIQUE (3/3)

Durant mon année à l’École d’Agroécologie Voyageuse j’ai parcouru une multitude de lieux. Parmi eux, deux pépinières et une ferme en maraîchage biologique m’ont attirées par leur commune passion pour l’agriculture syntropique. Et aussi parce que leurs gardiens et gardiennes sont des personnes singulières, dont la curiosité pour le vivant n’a d’égale que l’éclat de l’âme ! 

Je vous laisse découvrir Anaëlle, Pierre et Grégoire dans cette série de trois articles qui partagent leur vision de la syntropie en France aujourd’hui. À travers leurs réponses, ils apportent des regards différents et complémentaires sur ce nouveau type d’agriculture qui a de quoi faire rêver… 

👉Prêts à en prendre plein les yeux ?

– PARTIE 3 – Grégoire de la Ferme des Mawagits

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Un sourire toujours accroché sur les lèvres et des yeux rieurs, on ne peut s’y tromper, c’est bien Greg !

🌱 Quels événements marquants t’ont mené à ce que tu fais et qui tu es aujourd’hui ?

En grandes étapes clés il y a l’école d’ingénieur forcément. J’y ai appris énormément de choses très théoriques, ce que j’ai beaucoup aimé. Et puis il y a eu un clivage en 4ème année. J’en avais marre qu’on nous dise qu’on allait être « l’élite de la science française », qu’on allait accompagner les agriculteurs alors qu’on faisait des statistiques, du marketing et de l’agroalimentaire. On parlait d’agroécologie certes, on a dû avoir trois ou quatre cours dessus en quatre ans d’études ! Donc j’ai un peu fait des pieds et des mains pour bouger et j’ai eu la chance d’être reçu à un double diplôme au Brésil. J’y ai passé deux ans. C’est là où j’ai pris une grosse claque. Ce qui m’a vraiment marqué, c’est comment à quelques kilomètres près, la nature pouvait faire quelque chose d’ultra luxuriant, d’ultra abondant, d’ultra fonctionnel, vraiment incroyable ! Et à coté de ça, nous avec notre technologie, on crée un désert. Voir ces deux dimensions totalement voisines et totalement clivées, c’est hallucinant ! Même si j’avais déjà la tête -et pas les mains- dans l’agroforesterie en milieu tempéré avant de partir de France, c’est à partir de ce moment là que j’ai compris que l’arbre devait faire partie des écosystèmes. En tout cas dans les milieux où le climax tend vers la forêt. Et ne pas le faire relevait d’une ineptie totale. D’où ma rencontre avec Ernst (créateur de la syntropie, NDLR), qui a enfoncé le clou de la plus belle des manières…
J’ai lié une très belle liaison avec lui, on a continué a beaucoup parler, échanger, moi j’ai continué à énormément apprendre avec lui, que ce soit en France, au  Portugal, au Brésil… Quand je suis revenu en France, mon passage à l’association française d’agroforesterie a été un autre moment important. J’y ai fait mon stage de fin d’études pour raccrocher un peu les wagons avec l’agroforesterie tempérée, en mode : « qu’est ce que je peux faire moi, dans mon milieu ? C’est quoi l’agroforesterie ici en fait ? À quoi ça devrait ressembler ? ».

Et là je me suis heurté au fait que pour beaucoup de gens l’agroforesterie c’était un arbre tous les huit mètres sur le rang, je me suis dit « ah oui, c’est bien, mais il y a moyen de faire beaucoup mieux quand même ! ». Du fait de ce passage à l’AFAF j’ai rencontré beaucoup d’agriculteurs. Je me suis rendu compte que ma fonction dans l’écosystème et ce qui me rendrait vraiment heureux c’était produire de l’alimentation pour les gens et expérimenter, encore et encore. Et ne plus être dans un bureau à tout faire pour être le plus possible sur le terrain à passer du temps avec les agri (rires) ! Ernst parle beaucoup de plaisir interne : le fait que ta fonction d’être vivant est remplie lorsque tu la fais en étant mû par un « plaisir interne », et je me suis vite rendu compte que c’était ça en fait.

Voilà : le Brésil, Ernst, l’AFAF, et puis ma rencontre avec Guillaume -Guigui- (co-fondateur de la ferme, NDLR) forcément ! Ça m’a mené à la ferme des Mawagits qui est maintenant mon lieu d’expérimentation… et mon lieu « casse-croûte » ! Voilà un peu mon parcours en quelques petites phrases.

🌱 Est-ce que tu pourrais décrire la relation que tu as avec Ernst, quel lien vous unit ? 

Très vite on s’est lié d’une amitié infusée du coté « maître-élève », même si lui n’aime pas trop ça. Il est un peu fatigué d’être mis sur un pied d’estale au Brésil. On a une relation vraiment profonde, qui nous a mené à travailler ensemble sur des formations en France, au Portugal et au Brésil. Donc une relation professionnelle d’abord, où j’étais beaucoup plus dans la co-animation, à le seconder, et après en France à être autant impliqué et intervenir autant que lui. Il m’a dit avoir senti qu’il y avait quelque chose de spécial entre nous -j’en avait les larmes aux yeux- qu’il était très heureux de m’apprendre et m’instruire, parce qu’il sentait que j’allais en faire quelque chose évidemment ! Donc quand il m’a dit ça je me suis senti quelque part investi d’un truc important ! Parce que même si je n’ai pas envie de le mystifier, Ernts, c’est quand même un peu un génie de l’agroforesterie. Quand on sait tellement de choses depuis si longtemps, c’est toujours plus difficile de décomposer les étapes de progression, et de ne pas en sauter.

C’est aussi une relation amicale et il y a eu ces trois mois chez lui au Brésil. Il m’a invité pour développer un langage commun. Quelque part c’était aussi me donner son aval pour commencer à diffuser l’agriculture syntropique. On était trois là bas, avec deux autres gars vraiment sympas, et le soir on avait des interrogations devant Ernst, avec ses petites lunettes sur le nez ! Il posait des questions du genre « pouvez-vous me décrire ce qu’est pour vous la savane ? » ou encore « qu’est-ce que ça veut dire pour vous la perturbation ? ». Il nous regardait gravement en oscillant de la tête, je ne faisais pas le malin ! (Rires)

Ces derniers mois nous sommes moins en relation, même si je continue à le contacter de temps en temps pour lui poser des questions. Je continue d’avoir son aval sur mes projets et les formations que je donne, et c’est assez important pour moi. Est-ce que j’ai assez bien compris ce que tu fais depuis quarante ans pour me permettre de le transmettre sans trop le déformer ? Il y a mine de rien une forme de responsabilité inhérente à cette posture de « disciple » que j’ai avec lui. 

Ça n’a pas non plus été toujours facile, il est un peu comme mon grand père : il y a certains points ou il est très à l’écoute, très ouvert, et d’autres sujets où il est très fermé ! 

🌱 Tu dis agriculture ou agroforesterie syntropique ? 

Je dis agriculture, car pour moi agroforesterie syntropique c’est un pléonasme. Pour moi la syntropie ne doit être qu’agroforesterie, sous nos latitudes en tout cas. L’agriculture syntropique, c’est forcément des arbres. L’agroforesterie syntropique ça n’aurait pas de sens dans des milieux où le climax n’est pas l’arbre. Par exemple si tu vas dans les steppes ou la toundra, faire de l’agriculture syntropique et donc imiter le climax, ce ne sera pas de l’agroforesterie, parce que le climax ne tend pas vers l’arbre, la forêt. Donc pour moi agriculture syntropique c’est quelque chose qu’on peut adapter partout, tout le temps, à n’importe quel contexte pédo-climatique, en tendant vers le climax du biome. La dénomination « agroforesterie » rajoute parfois quelque chose de non vital, et parfois il est même fossé. 

Je pense qu’il ne faut pas s’arrêter d’utiliser des mots parce qu’ils ont été galvaudés. Je préfère me réapproprier le mot agriculture, pour moi il peut très bien pouvoir dire « régénérer les écosystèmes » en même temps que « produire ». C’est pas un truc nouveau, c’est ce qu’on fait déjà, mais on peut le faire autrement. 

🌱 Comment tu définirais l’agriculture syntropique pour un novice ?

Je donne toujours deux définitions, que je n’ai pas inventé ce sont celles d’Ernst.

La première c’est que l’agriculture syntropique crée des agro-écosystèmes qui sont productifs, donc un lien entre agriculture, agronomie et écosystème.

J’appuie vraiment là dessus, on cherche à se nourrir, à produire nos plantes médicinales, à produire nos fibres pour se vêtir, se loger… Il y a vraiment cette notion de production, qui peut être économiquement viable ou pas, qui peut être en autonomie alimentaire ou pour en faire son métier, mais on produit en tout cas !

Donc créer des agro-écosystèmes productifs d’une part, en imitant les écosystèmes de chaque milieu d’autre part. On comprend que ça va être différent partout, en terme de d’agencement dans l’espace, de dynamique dans le temps, et de fonctionnement. On parle notamment de stratification, de succession et de perturbation. 

Avec ça on a une définition assez complexe mais assez proche du réel..

L’autre définition c’est de faire une agriculture de processus, et non pas une agriculture d’intrants. C’est très important. À quelqu’un qui ne connait pas beaucoup l’agriculture, je dirais que c’est imiter le mécanisme de la forêt (sous nos latitudes). C’est-à-dire comprendre que la forêt est alimentaire, et comprendre que le chemin qui va de la prairie à la forêt est aussi un chemin productif et alimentaire. C’est aussi comprendre les processus qui se cachent derrière pour insérer dans cet engrenage les plantes qui nous intéressent. Donc c’est comprendre comment marche une forêt et l’imiter avec des espèces qu’on choisi. 

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« L’agriculture syntropique c’est comprendre comment marche une forêt et l’imiter avec des espèces qu’on choisi »

🌱 Sans pour autant faire cheminer ta parcelle vers une forêt ?

Le cheminement il y est toujours. Après ton objectif de production va s’insérer à des étapes. Il faudrait -ce qu’on ne fait pas à la ferme, qu’à chaque fois qu’on sème des légumes, on plante aussi des arbres, même si on les coupe l’année d’après. L’idée c’est qu’à tout moment, tout ce qu’on veut produire s’insère dans un cheminement vers la forêt. Si tu veux produire des pommiers, tu peux te dire « je plante mes pommiers et tout ce qui vient avant éventuellement ». Mais non, on plante tout ce qui vient avant, tout ce qui vient en même temps que les pommiers, et tout ce qui vient après ! Les chênes, les noyers, il faut absolument qu’ils soient là parce qu’ils donnent une information : vers où tend le système. Même si tu ne veux pas les utiliser ou les produire, même si ton objectif c’est le secondaire avant eux. 

🌱 On dit parfois que la syntropie c’est aller dans le sens du vivant. Qu’est-ce que tu mets derrière ce mot : le vivant ?

Je mets beaucoup de choses : j’essaye d’y mettre ma vie déjà ! Tout ce qui se passe dans ma vie j’essaye de le mettre sous ce prisme là !

Le vivant pour moi c’est tout ce qui permet à l’écosystème d’être là. Ca peut être autant de la vie animale, végétale, que des interactions humaines. Les premières images qui me viennent à l’esprit c’est quelque chose de beau, d’intense, et d’apaisant. J’imagine directement une forêt syntropique, c’est l’évidence. Et l’humain fait partie de ce système, parce que c’est un peu ça le combat, la quête du 21e siècle : que l’humain ne devienne pas un mort-vivant ! Qu’on reste des êtres vivants qui remplissent une fonction dans l’écosystème, et qu’on ne soit pas juste une espèce de parasite dans l’écosystème, sans fonction, sans empathie, sans bienveillance, sans interconnexions avec les autres espèces… Pour moi il y a des gens aujourd’hui qui ne sont plus dans le vivant : ils mangent une alimentation morte, ils ont des interactions mortifères avec les autres… 

La syntropie c’est tendre vers plus d’organisation et de complexification du vivant. Donc le terme du vivant est pleinement central. Et c’est un équilibre dynamique ! Tout n’est qu’impermanence, j’essaye de vivre à travers ce principe là, qui vient d’autres enseignements que la syntropie, comme le Bouddhisme. Comme la forêt, on peut croire qu’elle est immobile, mais elle ne reste pas identique des milliards d’années : il y a une perturbation qui va la faire repartir, une dynamique de clairières… c’est toujours en mouvement. 

🌱 Est-ce que tu crois que ce mouvement de la vie, cet équilibre dynamique qui fait cheminer les écosystèmes vers leur climax, a une finalité quelconque, comme aller vers l’abondance ? 

Je vais rester sur une réponse très pragmatique : oui, jusqu’aux limites de l’écosystème. Les limites d’eau, de stockage de carbone, de nutriments, d’oligo-éléments. Donc faire le maximum avec ce qui est disponible. 

🌱 Et toi tu aurais une idée de ce que ça serait sur Terre si c’était le cas ?

Non, j’aimerais beaucoup avoir la possibilité de l’imaginer et de le visualiser, mais il y a trop de facteurs que je ne maitrise pas pour le faire. Ernst dit que tous les déserts on été créé par l’Homme, tous, absolument tous même le Sahara. Je ne suis pas forcément d’accord, mais je n’ai pas assez de cartes en main pour jauger. Pour lui il n’y a aucune raison qu’il y ait des déserts. On est tellement éloigné des climax aujourd’hui partout dans le monde que c’est très compliqué de se faire une image d’un écosystème où l’être humain jouerait un rôle vraiment syntropique, qui tendrait vers l’abondance la plus totale. Je pense qu’on est très loin de ce que seraient les écosystèmes sans la présence de l’homme. C’est compliqué à imaginer. 

🌱 Et pour autant est-ce que tu penses que, si l’homme devient syntropique, il pourrait remplir sa fonction et son potentiel d’optimisation et de création d’abondance ?

Oui complètement. Je pense que tous les individus de chaque espèces apparaissent parce qu’ils ont une fonction dans l’écosystème. Pour remplir une fonction d’un macro-organisme. Pour régler des processus afin de tendre vers plus d’abondance. Tu vois on avait jamais observé des bactéries capables de radio-synthèse, donc capables de faire de l’énergie avec de la radioactivité, et ça a été découvert à Tchernobyl ! Parce qu’il y en avait trop, il fallait en dégrader, donc une espèce est apparue pour le faire ! Et ça arrive constamment. Il y a aussi des espèces qui arrêtent d’être présentes car leur rôle est rempli. Et c’est beaucoup plus complexe que ça puisqu’il y a plusieurs espèces pour le même rôle, pour plus d’efficacité. Donc pour moi évidemment l’être humain a un rôle dans l’écosystème. Et c’est ça qui est magnifique dans l’agriculture syntropique, outre le coté agronomique, c’est que ça apaise beaucoup d’angoisses ! Aujourd’hui je pense que beaucoup de gens sont perdus ! Ils courent, ils errent, ils ont des métiers qui n’ont pas de sens, ils sont malheureux parce que leur fonction dans l’écosystème, dans le grand tout, a été coupée. Moi c’est ça qui m’a beaucoup apaisé en rencontrant Ernst : je suis un animal comme les autres, j’ai une fonction comme les autres ! Ça remet les pieds sur terre de se dire « ok, je suis un animal comme les autres, il est juste question de trouver ma fonction dans l’écosystème. Comment aider l’écosystème à tendre vers plus d’abondance ? »

Et là on est tous différents. Forcément de base, en tant que grands primates, on a un rôle très opérationnel de dispersion des graines : on a la préhension, on attrape, on mange, on se déplace, on rejette, on fait du transport de matière et de génétique, parce qu’on bouge les graines un peu partout, de la sélection tout simplement ! Et je pense qu’il y a aussi un rôle d’accélération des successions naturelles : l’être humain a ce rôle de chef d’orchestre dans le bon sens du terme, comme faisant partie du groupe, pas au-dessus du groupe. On a la capacité de faire tendre le système vers encore plus d’abondance, plus rapidement. Il y a une réflexion pas uniquement analytique, mais aussi interne, émotionnelle. Donc évidemment l’être humain a un rôle primordial à jouer. On a une capacité de destruction et de création qui est très importante. Forcément là, en cent ans, on a tout flingué ! Mais c’est pour ça que je suis très optimiste, je sais que l’inverse est possible ! Dès que tu mets la technologie et le sens commun à l’écoute et au service de la régénération, ça va à une vitesse folle !

🌱 Pour que l’agriculture syntropique s’intègre pleinement en milieu tempéré, à quels enjeux on doit répondre ? Et le « on » c’est toi en tant que chercheur de terrain, et pourquoi pas les gens qui la pratiquent aujourd’hui.

Pour moi il y a plusieurs piliers : d’abord la connaissance. C’est ce que dit Ernst, « le seul intrant qu’il doit y avoir en agriculture syntropique, c’est le savoir ». Grosse punchline ! C’est pour ça que le logo de « Life in Syntropie » c’est un cerveau en forme d’arbre. Il faut comprendre le milieu qui nous entoure : être calé en biologie, en pédologie, en microbiologie, être calé dans tous ces domaines là, parce que c’est essentiel. Donc engranger des connaissances, et puis les transmettre. Cette notion de transmission est évidente pour pouvoir lever des freins et des barrières purement théoriques chez les gens. C’est le premier gros pilier.

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« Le seul intrant qu’il doit y avoir en agriculture syntropique, c’est le savoir »

Le deuxième c’est qu’on vit dans un système régit -malheureusement- par l’économie, donc c’est arriver à viabiliser les systèmes. Forcément. Pour moi on n’arrivera à rien tant qu’on ne créera pas des parcelles syntropiques viables, qui peuvent s’insérer dans le modèle actuel. En le changeant un petit peu, évidemment. Avec des idées d’externalités positives, par exemple vu que tu filtres l’eau et que tu stockes du carbone, tu es un peu payé par l’Etat. Mais le système doit être rentable. Ça ne sera transposé et transposable qu’à partir de là. C’est mon grand but.

Et donc il y a des sous piliers à ça : déjà réduire le coût d’implantation. Viser l’autonomie totale, donc récolter ses graines, faire ses boutures, faire ses greffes, faire son placenta… Parce que plus ce coût d’implantation baisse, plus ta parcelle est très vite rentable. Et le deuxième c’est baisser le temps de travail. Qu’il n’y ait pas besoin d’être à cinq personnes pour gérer une parcelle d’un hectare. Parce que sinon tu fais des marchés de niche, tu fais du citron caviar que tu vends ultra cher à des restaurateurs, ça ne marche pas à grande échelle. C’est une notion entrepreneuriale de réduire les charges et réduire le temps de travail. 

Le corollaire direct de ça, c’est la mécanisation. Je ne pense pas qu’on puisse tenir cette démographie actuelle en se nourrissant bien et en ayant de la syntropie partout, sans mécanisation. Après mécanisation ça veut tout et rien dire : ça peut vouloir dire la faux la plus affutée du monde ! Il y a tout à découvrir, ça ne veut pas forcément dire pétrole ! Il y a tout à inventer. Mais on ne sortira pas du microcosme syntropique si on n’arrive pas à mettre en place des systèmes sur le vallon d’en face, là bas, qui fait 500 hectares. Cinq cent hectares à la main c’est impossible. Je suis persuadé que le changement doit passer par un maillage de micro-fermes, mais ça ne suffira pas. Parce qu’on est trop nombreux. On consomme un nombre de calories alimentaires complètement fou. Et même en baissant la consommation de viande, donc en diminuant les grandes cultures qui alimentent la viande, ce qui va drastiquement baisser la quantité d’eau utilisée etc. On mange quand même énormément ! Neuf milliards de personnes ! Et il y a déjà des gens qui crèvent la dalle. Donc je nourris cette vision là de dire : tant mieux si on peut s’en passer un peu, mais aujourd’hui l’agriculture est ultra-mécanisée, ça ne passe que par ça. Donc j’imagine plus installer des agro-écosystèmes syntropiques mécanisés. Si on doit utiliser les dernières gouttes de pétrole il faut que ce soit là dedans ! Pas pour l’avion !

Mais du coup, par « mécanisé », tu peux entendre « technologie humaine qui puisse être verte » ? 

Oui bien sûr ! La technologie n’est pas un gros mot, c’est notre meilleur atout pour faire changer les choses. Il faut juste l’orienter dans la bonne direction. Et donc il y a tout un lien qui se fait avec la transition énergétique. Comment on se chauffe, d’où vient notre électricité, comment on alimente nos moyens de locomotions, nos machines agricoles ? C’est un sujet qui me passionne presque tout autant que l’agriculture parce que pour moi le changement de société passera par la transition agricole et énergétique. Clairement. Si on a pas ça on va droit dans le mur, c’est factuel, c’est physique, les limites sont là.

Donc compiler les connaissances et les transmettre, viabiliser les parcelles en baissant le temps de travail par la mécanisation pourquoi pas et par les coûts d’implantation faible. Et évidemment une prise de conscience globale, mondiale. Un changement de l’éducation, pour comprendre ce que c’est vraiment que l’alimentation. Et que les gouvernements et les institutions comprennent que l’agriculture syntropique ce n’est pas que produire de l’alimentation. C’est gérer la qualité et la quantité de l’eau, c’est stocker du carbone, c’est créer de la biodiversité, produire du bois, c’est tout à la fois. Il y a un enjeu politique total. Faire de l’agriculture syntropique est un acte politique, clairement. 

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Pressage de jeunes feuilles de muriers pour analyser le taux de sucres dans la sève.

🌱 Après avoir brossé tous ces différents sujets, si tu avais l’opportunité de lancer une équipe de recherche de l’INRA ou autre sur le sujet de ton choix, quel serait-il ?

Ah c’est une pure question ça ! Si tu peux leur transmettre après ce serait trop bien !

Il y en a tellement… Au niveau purement agronomique, technique, ce qui est très novateur en syntropie c’est le coté perturbation. Donc c’est comprendre les mécanismes qui sous tendent ces perturbations et leurs conséquences. Qu’est-ce qui se passe quand tu tailles et que tu fauches une plante ? Qu’est-ce qui se passe pour cette plante là, et pour les plantes d’à coté, et pourquoi ? Est-ce que ce sont des liens mycorhyziens ? Est-ce que ce sont des liens de la rhizosphère ? Comment l’information passe ? Qu’est ce qui est transmis ? Est-ce que ce n’est qu’une information où il y a des éléments nutritifs ? On a déjà une partie de la réponse. Mais ce serait regarder et comprendre ça pour après mieux le faire. C’est ce que font les écosystèmes naturels. Cette perturbation c’est ce qui fait l’agriculture de processus, qui te permet de ne pas mettre d’intrant. Donc c’est mieux comprendre ça pour mieux l’appliquer après, et être le plus autonome possible et le plus auto-fertile derrière. C’est un peu ce qu’on essaye de faire avec Pablo (NDLR : en service civique à l’association), de manière très peu académique, juste pour nous, pour pouvoir dire : « regardez, nous on ne sait pas faire mais on a des résultats étonnant, plongez-vous là dedans quoi ! ». Regarder le taux Brix, le Ph, le taux de nitrates dans les sèves après et avant perturbation. Voilà, ça ce serait un des sujets importants pour moi.

Et il y a aussi un sujet qui me passionne, qui est lié à l’agriculture syntropique directement mais que je vois par un autre prisme. C’est le lien entre la nutrition des plantes et la santé des plantes. Beaucoup de grands agronomes en parlent (trophobiose etc.), mais ils sèchent assez vite sur certains points. Les sujets seraient : « qu’est-ce qu’une plante bien nourrie ? » ; « quelle plante dans quelle contexte est bien nourrie ? » ; « comment cela induit une bonne santé de la plante? ». 

Une plante qui a tous les éléments minéraux dont elle a besoin ne tombe pas malade en fait. Voir comment ça marche, pour comprendre comment mieux nourrir nos plantes. Et le lien direct : si une plante se nourrit de manière optimale, manger cette plante n’apporte pas la même qualité nutritionnelle, c’est évident. D’ailleurs, des outils se développent pour évaluer certains indicateurs comme le taux de sucre, de sel et les oligo-éléments dans les sèves je crois. Et du coup on peut prouver qu’une tomate de supermarché qui a été produite sous serre en hydroponie est différente d’une tomate en sol vivant. On ne mange pas la même chose, ce n’est pas le même produit. Manger une plante en bonne santé ce n’est pas du tout pareil que de manger une plante malade. C’est la base de la société : si tu nourris bien les gens, les gens sont moins malades !

Voilà un peu pour l’INRA, je les mettrai là dessus !