Extrait de « Plutôt Nourrir » le livre poignant de Clément Osé et Noémie Calais. Après avoir fait « Sciences Po Paris », Noémie s’amuse en disant qu’elle fait « Science Porcherie ». Militante et éleveuse de porcs noirs dans le Gers, près de la Ferme des Mawagits où elle cuisine ses produits lors des soirées tapas qui connectent les gens.
« Il y a six jours, un gang de 4 petits cocons s’est fait la malle. ils ont trouvé la vanne du tuyau d’arrosage. A mon arrivée, Versailles : grandes eaux, spectacle, cochons sous le jet, aux anges. Pas farouches, ils sont tout de suite venus chercher des caresses et m’ont tranquillement suivie jusque dans leur cabane. Ce lien quotidien à l’animal renforce ma sensibilité au Vivant, mais il me rend aussi, peut-être, intransigeante sur les incohérences de certains discours urbains ou véganes, qui méconnaissent la sensibilité des éleveurs. Je refuse de me laisser emmener dans ce discours manichéen qui rangerait les éleveurs du côté des méchants, des tueurs, des sans-coeur, et les urbaines véganes du côté des gentils qui respectent la vie. Choisir la vie, c’est choisir la mort, je le répète comme un mantra.
« Il m’est insupportable de recevoir des leçons de personnes qui s’achètent une bonne conscience en décidant de s’extraire du rapport à l’animal plutôt que d’oser le regarder en face, dans sa complexité et son ambivalence. Les produits non animaux, issus de circuits longs, conventionnels, industriels, portent aussi leur lot de mort, celle qu’ils occasionnent aux sols, à la biodiversité, à leur écosystème, et la mort de leurs idéaux : les inégalités, les monopoles de rente, le désastre social qui advient lorsque l’on délègue à quelques-uns le pouvoir de nous nourrir tous.
« Ce qui constitue l’essence de l’élevage, ce pacte entre l’humain et l’animal, selon Jocelyne Porcher, chercheuse et ancienne éleveuse de porcs, c’est la relation de travail qui les unit. La question qui reste toujours en suspens, c’est celle de la mort. Si le consentement au travail me semble évident, par exemple pour les chevaux de trait, qui viennent au contact des maraîchers et se prêtent volontiers au travail du sol, comme par jeu, il l’est moins pour mes cochons. Je travaille avec eux, mais travaillent-ils pour moi ? Non, ils vivent juste leur vie de cochon. J’imagine que je ne suis qu’un élément dans leur quotidien : leur bras nourricier, leur voix à suivre sur la colline, leur bipède avec qui interagir et de qui guetter les caresses. Mais ils ne travaillent pas, non. En revanche, pour moi, le fruit pécuniaire de mon travail avec eux vient de l’acte de mort que j’exerce sur eux. Peut-on dire que l’animal est consentant à ce travail là? Consent-il à devenir nourriture pour nous? Clairement, non. Je ne conçoit pas qu’un être vivant puisse consentir à sa propre mort.
« Ma seule façon de vivre avec cette idée, de cotoyer ce dilemme de conscience, c’est la promesse que la mort de l’animal n’est pas la finalité de son élevage. Si mes cochons servent leur écosystème en étant les poubelles, les tondeuses, les fertilisants, alors ils ont un rôle à part entière dans le cycle du Vivant. L’acte de mort vient alors réguler un nombre, rétablir un équilibre. J’ai réduit mon cheptel cette année, également pour cette raison philosophique : je ne veux plus que mes cochons rentrent dans une logique de production de viande où leur mort serait la seule et unique finalité de leur vie.
Je ne sais pas si tous les éleveurs ressentent le même chose, mais je ne pourrais plus côtoyer la mort de mes animaux en conscience que si elle est occasionnelle, révérée et nécessaire. Dans le cas contraire, j’y perdrais mon âme. Je deviendrais un moulin à brasser la mort. Cela me ferait, à mon tour, mourir en dedans.
Pour commander le livre : https://www.decitre.fr/livres/plutot-nourrir-9791030104240.html
J’irai bientôt faire un épisode du podcast de L’Ecole d’Agroécologie Voyageuse avec Noémie.