Le Guide de Survie de Lucie – épisode 1

Après plusieurs voyages sac au dos, du wwoofing à l’aide humanitaire, de l’Europe du Nord à l’Asie en passant par l’Amérique du sud, de la semaine au semestre, me voici à nouveau sur la route, entre Chili et Brésil. 

A chaque fois, ce sont les mêmes interrogations qui reviennent de la part de ceux qui m’entourent. Je souhaite à présent partager les réponses que m’ont apporté le voyageet les rencontres, à l’intention tous ceux qui vont partir à l’assaut de l’inconnu.

Pourquoi es-tu partie ? 

Le voyage. Une notion bien différente pour chacun. Pour certains, c’est le simple dépaysement, la découverte momentanée d’un nouvel ailleurs. Je considère le « voyage » bien différent du tourisme, et le but de celui-ci, c’est, au-delà d’une excursion sympathique, de Vivre en détachement de tous mes préjugés. A partir de là, il n’est plus possible de comparer, il faut comprendre. Je ne veux pas être la touriste française, qui juge tout sur sa propre expérience, mais mettre mes yeux dans ceux de chaque individu rencontré. Le plus rapide pour y parvenir, c’est l’inconfort. J’ai donc choisi de voyage seule et sans planification. En gardant toujours en tête l’envie de connaître le système depuis l’intérieur, de rencontrer des gens et de tisser des relations. Partir pour prendre des claques, pour vivre une autre perception du quotidien. 

Quel courage, t’as pas peur ?

La plus grande peur actuelle des sociétés est, à mon avis, la solitude. Prendre des décisions seul, supporter le regard des autres, être exposé à des interactions, être seul responsable de ses bêtises. Il n’y a pas de « courage » qui tienne, mis à part peut être le fait de choisir de partir. Car finalement, partir seul c’est se donner l’occasion d’un nombre de rencontres inimaginable, de demander de l’aide, d’aider et de partager bien davantage. 

Ensuite, la peur de se tromper, de se retrouver dans une situation peu enviable est elle aussi démesurée. Je n’ai plus peur de tomber, car je me suis rendue compte que je pouvais me relever. Les débutants en ski craignent la poudreuse, mais ils apprennent bien vite que tomber dans un nuage de neige n’est pas bien douloureux. Cessons de mettre des barrières de sécurités à chaque coin de nos vies, ce sont ceux qui ont chuté qui portent les plus grands sourires. 

Enfin, j’ai deux jambes et un cerveau, c’est suffisant pour me déplacer seule. Le danger est majoré par un comportement inadéquat. Je ne le prétends pas inexistant, mais j’essaie d’en prendre conscience, de l’accepter, et d’adapter mes décisions : et pour cela il faut avoir peur. Mais ça n’est pas si terrible. Deuxième clé : faire confiance. Les coïncidences arrivent bien plus souvent qu’on ne le croit. Si quelque chose te turlupine, vas t’en même si t’avais prévu de rester ; si tu devais partir mais que tu as le feeling, pause toi donc quelque temps. 

Finalement, je me suis surtout bien marrée. Des situations incroyables et inopinées ; des bêtises bien terminées ; une observation accrue qui te fais voir les petits détails rigolos du quotidien.

Mais tu voyages seulE ?!

Ah celle là je l’entend ! La peur de la solitude, et la peur des inégalités projetées sur chaque femme sac au dos. Les chiffres parlent, vous dira t-on. Alors non, je n’ai pas peur. Ou du moins, je n’ai pas de ces peurs bloquantes. J’ai conscience des faits, et je prends garde à faire particulièrement attention à mon intuition. Je prends quelques mesures simples, et suis finalement souvent accompagnée. L’inconnu au coin de la rue a aussi de bonnes chance d’être une rencontre incroyable, et une surprotection empêche bien de belles découvertes. Je souhaite faire du vélo tout terrain, et non rester sur un vélo à roulettes toute ma vie.

Quelle chance ! 

Oui. Et non. Oui, parce que j’ai eu toutes les conditions réunies pour un départ assez facile (aides administratives et financières, famille et école favorables). Mais aujourd’hui les possibilités de partir sont infinies. Il faut s’investir pour préparer son voyage et trouver les financements, mais l’effort en vaut la chandelle ! C’est la succession de choix que j’ai fait auparavant, qui m’a emmenée à réaliser chaque voyage. 

Tu as une vie palpitante ! 

Ça, ça ne tient qu’à soi-même. J’ai simplement mis en accord ce que je pense, ce que je dis et ce que je fais, et paf, ça fait des étincelles. N’importe qui peut s’intéresser, passer du temps à développer ses passions. Allumer des petites flammes dans ses yeux, c’est un effort -ça s’entretient un feu-, mais c’est le prix d’une vie « palpitante ». Il n’y a pas de « mais je dois » qui tienne pour excuse. Si un devoir est pertinent, il rend heureux. Vivre de sa passion signifie aussi s’investir, ne pas laisser couler les journées mais en être acteur, ne pas faire par devoir mais questionner ces devoirs. 

Ta maison ne te manque pas ?

Quelque soit la période, le voyage est synonyme d’absence de foyer. Sur un court laps de temps, on se réconforte du peu qu’il reste à vivre loin de son chez soi. C’est traître. On ne vit pas d’espoir. Lorsque j’ai vécu pleinement mes voyages, c’est que chaque maison où j’étais accueillie, chaque bout de terre où j’ai posé ma tente, étais un peu devenu un foyer. Un foyer d’un soir ou de cinq mois, mais un endroit où j’étais ravie de pouvoir me reposer. Il arrive bien sûr qu’un sentiment de nostalgie face surface, il faut le laisser venir, l’accepter et le laisser passer. Ce n’est pas l’endroit qui importe, ce sont les émotions que l’on met dessus ; et il n’importe qu’à nous de voyager avec des émotions positives.

Comment est-ce que tu envisages les départs ?

Période très houleuse que celle du départ. Tout d’un coup, la prise de conscience de l’approche du départ se fait plus vive. Se projeter est sans utilité, j’ai décidé de profiter à fond avant les départs, même s’il y a un ouragan permanent qui agite mes neurones. La seule solution que j’ai trouvé c’est sans arrêt se rappeler de faire confiance à la vie, c’est elle qui m’a emmenée ici, et je n’ai aucune idée de ce qu’elle me réserve comme autres belles surprises. 

Quelle place à la planification ?

Il en faut un minimum pour construire un projet, suivre un fil rouge. Mais le voyage incite à briser les codes de planification imposés dans notre société, il développe l’intuition et l’adaptation. Laisser sa place à l’inconnu, qui, de toutes les manières, pointera le bout de son nez à chaques imprévus – et ils sont fréquents. 

Comment est-ce que tu t’intègres à une réalité et à un quotidien ?

L’intégration dépend majoritairement de soi. Ou du moins, il est possible de la faire dépendre majoritairement de soi. Faire l’effort de comprendre le système dans lequel on s’insère, aller à la rencontre des autres sans a priori, s’investir dans les activités et les relations, s’intéresser. C’est parfois très facile et spontané, mais il faut aussi savoir passer les premiers sentiments de malaise, en arrivant dans un quotidien qui n’est pas le nôtre. Poser des questions, observer, ne pas fuir mais être réellement présent aux côtés de ceux qui nous entourent. 

Lucie Maurel, Ingénieur agro en césure, participe au projet Les Agron’Hommes. Elle est passionnée par le lien entre l’évolution de la société et l’agriculture. Pour elle, le voyage est essentiel pour apprendre, à condition d’avoir de bons outils: depuis le Chili, elle nous partage le premier épisode de son guide de survie. Son projet a été en partie financé par AgroSys, chaire partenariale de Montpellier SupAgro pour l’agroécologie.