Stève et Lydie, une combinaison d’explorer et de faire

Au cours de mon voyage, je découvre une multitude de façons d’apprendre, d’inventer, de créer de nouveaux modèles agricoles – ou bien-même, de les retrouver. Entre quête d’un équilibre familial et réelle recherche du bien faire, la Ferme de Pibot est une belle démonstration d’un engagement qui ne se rend pas compte de son ampleur.

Il n’y en a finalement pas si peu, des chemins de passionnés qui ont commencé par un hasard. Est-ce ma naïveté et mon expérience de militante écologiste, qui m’ont poussé à penser que seules des prises de conscience douloureuses pouvaient mener à des engagements agricoles forts ? Pourquoi m’étais-je mise en tête que les caractères fougueux avaient meilleure tendance à entrer en rupture ?

Il faut de tout pour faire un monde, et la Ferme de Pibot en est ma preuve.

Partie d’une aventure familiale – une reprise de terre suite à un héritage – et de la recherche d’une vie unifiée, la ferme de Stève et Lydie est un bel exemple de pragmatisme ambitieux. Sur une petite surface correspondant à une ancienne prairie, 1200 poules pondeuses vivent en poulaillers mobiles, installés progressivement entre les rangées du verger planté à l’occasion. Ce dispositif permet à la fois aux poules de passer le plus clair de leur temps en plein air, de fertiliser sans effort la prairie grâce aux déjections réparties lors de leur promenade, et de créer à moyen terme des espaces boisés et productifs. De l’autre côté de la barrière électrifiée qui protège les poules des renards et les jeunes arbres des ruminants, plusieurs rangées de vigne haute viennent structurer le paysage verdoyant. S’ils vivent pour l’instant essentiellement de la vente locale des œufs, produire des fruits (raisin de table, poires, abricots, pêches, noisettes) doit permettre à Stève et Lydie à terme, de réduire la taille de leur troupeau – et ainsi la pression de pâturage qu’il applique sur la prairie.

Le calibrage des œufs est une opération obligatoire dès lors que les élevages accueillent plus de 250 poules. C’est aussi le moment où la diversité des 2 œufs est homogénéisée, pour écarter les plus fragiles, les déformés ou les salis, les trop petits ou les trop gros, des circuits de commercialisation (ce qui n’empêche pas la consommation personnelle !). Lorsque les poules sont élevées en plein air, les jours de pluie engendrent plus de salissures sur les œufs ; il est interdit de les laver, pour préserver la membrane qui les protège et les conserve. Crédits : Caroline Mouille

S’ils vivent pour l’instant essentiellement de la vente locale des œufs, produire des fruits (raisin de table, poires, abricots, pêches, noisettes) doit permettre à Stève et Lydie à terme, de réduire la taille de leur troupeau – et ainsi la pression de pâturage qu’il applique sur la prairie.

A ce modèle économiquement bien pensé et échelonné dans le temps, s’ajoute une belle complémentarité des énergies qui l’animent : Stève, le concepteur, peut passer des heures à s’informer sur de nouvelles pratiques. Ancien conseiller environnemental en Chambre d’Agriculture, il semble avoir conservé la curiosité nécessaire au poste. Lydie, l’agissante, s’auto-décrit comme référente sur les chantiers de bricolage. Ayant déjà monté une entreprise par le passé, elle bénéficie de s’être familiarisée avec la rigueur juridique et économique. Tous deux naviguent aisément dans le dédale des aides et subventions.

L’un ne fonctionne pas sans l’autre, ni l’autre sans l’un. Là où ils se retrouvent, c’est lorsqu’il s’agit de penser leur projet de vie : leur ferme est au service du bien-vivre familial, tout autant qu’ils sont au service de leur ferme. Il faut donc que cette dernière soit rentable, et leur permette de prendre le temps d’éduquer et de vivre correctement avec trois enfants en bas-âge. Mais c’est aussi un lieu où la mission qu’ils se donnent de prendre soin de la Création trouve son terrain de jeu ; intrigants moteurs profonds, c’est l’expression « notre éthique » qui leur revient souvent à la bouche.

Les poulaillers mobiles sont déplacés une fois par semaine en moyenne, pour offrir aux poules des pâturages dont la verdure a eu le temps de repousser (parfois aidée d’un semis, en fonction de la saison). La taille du parc est adaptée au nombre de poules, afin de préserver cette capacité des sols à se régénérer. Crédits : Caroline Mouille

Avec une telle logique, la ferme finit par ressembler à un savant mélange de trouvailles ingénieuses. En premier lieu les poulaillers mobiles, construits dans des mobile homes dont les planchers ont été remplacés par des caillebotis, et qui s’intègrent parfaitement dans le paysage tout en étant confortables. Mais aussi les plantes filtrantes déposées dans la réserve d’eau (tout le monde sait désormais qu’elles aident à l’équilibre biologique du bassin), ou encore les vignes conduites en V pour permettre le passage de machines sans rogner sur les rendements ; les combines se succèdent et n’en finissent pas. Mais c’est aussi en termes de pratiques agricoles que je m’émerveille : arbres fruitiers plantés en rangées d’écartement standard, pour laisser la place à une éventuelle reconversion de la ferme en maraîchage, alternance de prunus, de pyrus et de malus, pour compter sur les synergies que les arbres mettent en place, ou encore utilisation d’outils issus de la biodynamie * – puisqu’après tout, Stève a vécu des expériences concluantes en la matière – en sont de bons échantillons. A la ferme de Pibot, chaque choix semble à la fois issu d’une mure réflexion et d’une volonté un peu folle de tester quelque chose.

Les poulaillers mobiles sont équipés en grande partie grâce à des matériaux de récupération, bricolés à la maison. Les pondoirs ont ainsi été achetés à un éleveur en fin d’activité, découpés à la longueur souhaitée, et rééquipés de tapis roulants en toile de jute. L’accessibilité pour les humains, la facilité à les nettoyer, sont des critères ayant participé à la conception. Crédits : Caroline Mouille

Hésitante dans mon interprétation, entre exemple de candeur et de stratégie claire, j’ai plusieurs fois retenu le : « Mais vous vous rendez compte à quel point c’est génial ? ». Cet adjectif me venant peut-être d’autant plus facilement que je ne décèle dans leur projet pas l’ombre d’une fierté mal-placée. Stève et Lydie me rappellent à l’humilité. Schéma difficile à tenir, ligne de crête exigüe entre l’action engagée et la retenue prudente du sachant, ils semblent se donner sans rien attendre en échange. S’ils ne rechignent pas à témoigner de leur réussite, ils sont loin du « rentre-dedans » de la démarche militante ; eux se rudoient simplement pour faire toujours ce qui leur semble le plus juste. Tout court.

Et c’est dans leur intérêt pour la transmission que transpire leur passion : tous deux titulaires du BAFA, Stève et Lydie accueillent des jeunes enfants à la ferme, en organisant des parcours de découverte animés. Leur facilité à parler de leur activité s’illustre aussi avec les adultes ; jamais auparavant je n’avais aussi peu eu besoin de réclamer que l’on m’explique les choix et trajectoires d’une ferme. Toute action, décortiquée par avance, m’apparaissant ainsi d’autant plus claire. C’est donc avec une sensation d’évidence, de celles qui viennent lorsque les choix de conception suivent une logique imparable, que je repars.

Avec en tête une déclinaison fermière de Nicolas Boileau : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément ».

*La biodynamie est l’un des courants fondateurs de l’agriculture biologique, dont elle se rapproche par son rejet des produits de synthèse. Reposant sur l’approche holistique des liens entre les plantes, le ciel et la terre, elle est régie au quotidien par 3 grands principes : l’acceptation de l’influence des rythmes cosmiques et des phases lunaires, l’utilisation de préparations naturelles pour garantir la santé et la vigueur des plantes, et l’intégration de tous les éléments environnementaux (faune sauvage et domestique, microfaune, plantes cultivées et sauvages, arbres, points d’eau, être humain) dans la conception des paysages et la conduite des cultures.