Lucile et Arafat, en communion simple avec leurs jardins

Un lopin de terre derrière la maison, un ancien séchoir à tabac, quelques arbres offrant un refuge lors des journées brûlantes, et une tente-yourte pour dormir (presque à la belle étoile). C’est une simplicité bienvenue qui m’accueille chez Lucile et Arafat, à la Ferme du Bosquet.

Au pays girondin des domaines-châteaux et routes du vin, leur quotidien offre un contraste marqué avec le prestige environnant, dont ces maraîchers de cœur ne se réclament pas. Formés sur le tard, ayant appris leur métier durant des années de wwoofing et d’expérimentation, ils ne sont pas de celles et ceux qui s’installent en agriculture à grand frais. Quelques serres artisanales, un bail agricole posé sur une prairie de propriétaires locaux et un système d’irrigation, et les voilà prêts à cultiver leurs sols en maraîchage sur sol vivant *. 4 ans plus tard, la ferme est restée aussi sobre ; les poulaillers mobiles abritant les poulets cou-nus ont été construits à la main, et la brouette reste l’un des principaux outils de travail. A peine quelques bâches font-elles leur apparition pour aider à protéger les sols et lutter contre les plantes indésirées.

En bordure du terrain cultivé, les poulets sont élevés par tranche d’âge dans des parcs où les poulaillers sont déplacés régulièrement. Combiné à l’extensivité du pâturage, cette pratique permet d’équilibrer la pression appliquée sur les sols, en laissant aux espaces l’opportunité de se régénérer.
Crédits : Caroline Mouille

Chez Lucile et Arafat, tout semble logique, presque incarné. D’ailleurs, on ne parle pas de parcelles, mais de jardins ; la fusion qu’ils entretiennent avec « le terrain » ne cesse de me surprendre. Leurs choix sont cohérents : l’élevage de poulets leur permet de disposer d’un fumier abondant, qu’ils disposent sur leurs sols lorsque le besoin se fait sentir. Le foin récupéré sur la ferme est rapidement transformé en paillage, pour couvrir les sols et favoriser le développement des légumes. Leur commercialisation en AMAP (Association de Maintien de l’Agriculture Paysanne) et en paniers qu’ils livrent eux-mêmes entretient le lien avec les personnes qui les entourent. De nombreux arbres ont été mis en terre, et d’autres se sont mis en terre d’eux-mêmes, sans être dérangés. Et dans un coin de la ferme, une parcelle est dédiée à l’expérimentation d’agriculture syntropique ; on y trouvera une belle image d’abondance.

Dans le jardin en agriculture syntropique, les plantes annuelles se mélangent aux vivaces et aux arbres en pleine croissance. L’abondance verdoyante du printemps abolit les limites des lignes plantées, qui se distinguent surtout sur cette photo par leurs hauteurs.
Crédits : Caroline Mouille

C’est ma première expérience de maraîchage, et je la vis comme une respiration. Une pause dans un parcours intellectuel, qui me rappelle que mes mains et mon corps sont au centre de mon (futur) travail. La précision de mes coups de sécateur ou l’attention avec laquelle je mets en terre des plants ont un impact direct sur la réussite des cultures. Je me laisse porter par l’effort, et apprécie le rythme des levers matinaux ; à l’heure où les urbains se préparent à affronter leur journée, je m’enfonce les pieds dans la rosée et m’enivre des effluves de tomates et de basilic. J’ai mal au dos, mais j’apprécie le privilège.

Porter des gants ou non ? Chacun.e sa technique. Quand certains aiment garder la sensation de toucher la terre et ce qu’ils font, d’autres se lassent des marques persistantes laissées par le Vivant (ici après manipulation des pieds de tomate).
Crédits : Caroline Mouille

Au-delà d’une formation à l’agriculture du Vivant, je suis à la recherche d’un équilibre de vie de paysanne. Ici, je découvre une famille paisible, qui abolit les limites des vies personnelles et professionnelles pour faire fonctionner les deux en harmonie. Lucile et Arafat ne semblent pas avoir envie de « décrocher ». Au contraire, ils aiment commencer la journée et passer du temps au milieu de leurs légumes. Ils sont paysans maraîchers jusqu’au bout des ongles, et jonglent entre moments consacrés à leur famille, leurs ami.e.s et leurs jardins, avec plus ou moins d’équilibre selon l’intensité des périodes d’activité à l’année.

Quelques confidences concernant leur train de vie me confirment leur sobriété. Leurs dépenses sont raisonnées, et leur permettent d’acheter l’alimentation qu’ils ne produisent pas à des artisans ou des magasins de qualité. Ils aimeraient aussi habiter et travailler dans un lieu plus isolé, protégés de la circulation. Et s’ils pouvaient vivre directement sur leur terrain, en communion avec les jardins, ils le feraient.

Alors bien sûr, il y a des surprises. Il leur faut parfois se soumettre à des dynamiques inexorables du Vivant, ou à des conditions climatiques, sur lesquels ils n’ont pas de maîtrise. Parfois, ce sont aussi les aléas humains qui s’invitent dans la partie : cultiver la terre à plusieurs ne se fait pas sans cultiver le lien entre personnes, et c’est à l’épreuve des premières années de vie commune que Lucile et Arafat ont appris à se compléter.

Mais leur persévérance semble être une bonne alliée.

Ils savent qu’ils ont trouvé leur voie.

Depuis la tente-yourte qui m’accueille, le spectacle quotidien des couchers de soleil me ramène au cycle de mes journées. Calquer mon sommeil et mon effort physique sur l’heure fait émerger chez moi un immense bien-être, une habitude presque reposante tant elle permet de s’abandonner. Loin de mon rythme urbain, je reprends contact avec le rythme du Vivant.
Crédits : Caroline Mouille

* Le maraîchage sur sol vivant (MSV) cherche à reconstituer le cycle naturel de la fertilité des sols cultivés, au travers du non-travail du sol et des apports de matière organique. La stabilité structurale favorise ainsi la capacité à retenir l’eau accessible pour les plantes, et contribue à réorganiser la vie biologique. En recyclant bien la matière organique, cette dernière recommence à apporter des services écosystémiques, dont les paysan.ne.s peuvent bénéficier en retour (comme par exemple la fourniture des nutriments nécessaires à la croissance de la plante, ou le contrôle naturel des bioagresseurs).