Dans les tumultes de mon parcours voyageur, en pleine(s) canicule(s) estivale(s), je vais traîner mes bagages dans le Gers, à la Ferme des Mawagits. Grégoire, Antoine et Guillaume ont la réputation d’être des maraîchers bosseurs et expérimentateurs, mais qui savent aussi faire la fête et faire preuve de légèreté.
A une demi-heure d’Auch, au milieu des champs de tournesols parsemés par la sécheresse et des collines s’ouvrant sur la chaîne pyrénéenne, c’est un Gers tout en ambiguïtés qui m’accueille. Riche de caractère et empreint d’une culture révoltée, les paysans ont pourtant l’air d’y porter le poids des embuches du paysage qu’ils ont façonné. Des pentes raides et drainées contrastent avec le relief doucement vallonné, donnant à voir des piémonts qui s’empourprent au crépuscule.
Dans ce milieu où le Vivant semble devoir en permanence négocier sa place, et où les températures atteignent régulièrement 35°C les après-midis d’été, la ferme des Mawagits ressemble pour moi à un ilot de fraicheur.
De végétation déjà. 2 hectares de maraîchage verdoyant, dont de nombreuses planches conduites sur sol vivant, et agrémentés d’arbres plus ou moins spontanés, plus ou moins âgés, mais tous pourvoyeurs d’ombre. Des parcelles en agriculture syntropique, où se côtoient pommiers et mûriers domestiques. Des couleurs dans tous les sens, à une saison où de nombreux légumes arrivent à maturité ; l’essentiel de mon temps passé dans les champs consistera à récolter tomates, pommes de terre, melons et pastèques, concombres, aubergines…
Mais aussi ilot de vie humaine. Grouillant de monde les soirs de vente à la ferme, ou plus calme en semaine lors des journées de travail, il m’est une nouvelle fois difficile d’être déçue par mes rencontres : wwoofeur.se.s, stagiaires et services civiques, ami.e.s plus ou moins proches et connaissances en visite, habitant.e.s du coin ou de plus loin, habitué.e.s ou touristes de passage dans la région, tout le monde semble s’y côtoyer joyeusement.
Aux « Mawa », on vit tout autant qu’on travaille ; la journée débute à la fraiche, avant que le soleil ne grille les épaules. Le petit-déjeuner est pris ensemble, ainsi que le café de 10h, que rejoignent régulièrement les habitants du voisinage. Le repas du midi est aussi partagé, et s’ouvre souvent aux bénévoles de l’association, venus aider à la récolte ou préparer une soirée tapas. Et le soir, c’est accoudés au barnum de pierre et de bois que les corps se reposent, que les discussions se détendent. Sans compter le privilège des stagiaires logés sur place : admirer les étoiles qui éclairent un ciel noir avant de s’endormir.
La ferme leur ressemble. Légère mais aussi très technicienne, c’est un lieu où ils se font plaisir tout autant qu’ils cherchent à gagner leur vie. S’ils portent beaucoup d’attention à tutorer les légumes sous serre ou à entretenir la pépinière en pleine croissance, ils sont aussi capables de laisser les chénopodes envahir les rangs d’oignons sans s’affoler. En acceptant la part de spontanéité du Vivant. Cet esprit que certains pourraient appeler laisser-aller, que d’autres caractérisent de désinvolture, est en réalité très représentatif de leur lâcher-prise. En gascon, « mawagit » signifie d’ailleurs « maladroit » ; un clin d’œil à leurs premières années de maraîchage, plus que naïves !
Dans ce mode de vie ultra-sollicité (qui a dit que la vie rurale était monotone ?) et collectif, les trois maraîchers apprennent à trouver un équilibre individuel. Les moments de communauté les portent aussi bien qu’ils peuvent les épuiser, et chacun semble apprendre progressivement à prendre des moments pour soi, à l’extérieur. A garder ses activités et passions, tel Grégoire le formateur en agriculture syntropique, et Antoine l’ingénieur son. Dans une confidence de coin de table, Guillaume admet que, parfois, il en a marre. « Mais s’il fallait qu’on se réinstalle, on ferait tout pareil ». Autant dire que, finalement, ils sont comblés.
C’est ce bouillonnement allègre qui a accompagné mes quelques semaines à la ferme. Une belle leçon de collectif, qui permet aux gens de passage de se sentir en être, d’y laisser leur marque, sans pour autant en être redevables. L’accueil se fait en don inconditionnel, laissant ainsi la place aux bonnes volontés – qui ont pour l’instant toujours été au rendez-vous ! Les Mawagits rayonnent d’un altruisme communicatif, invitant à se mettre au service du monde et du Vivant.
Et un soir de banquet gaulois clôturant la saison estivale, c’est pieds nus, en faisant voler la poussière d’une prairie festive, sous les lumières des lampions et accompagnés de musique celtique, que nous dansons de tous nos corps.
J’y ressens comme des élans de justesse.
Je vibre de me trouver autant à ma place, et que cette place soit si heureuse.