Dé-paysan voyage

Quelques mois après la fin de mon parcours voyageur, je me sens prête à partager les alexandrins travaillés au fur et à mesure de mes expériences paysannes. L’exercice est difficile, et peut-être encore plus intime. Ce poème est, autant que possible, un message de reconnaissance pour ce doux bouleversement vécu.

Partir. Comme une urgence, et laisser après moi

ce brouillard anxieux qui obscurcit mes choix.

Entre soin de la Terre et soin de mon ego 

ardents s’entremêlent mon cœur et mon cerveau.

Suis-je capable de servir comme je veux

ce monde qui m’embarque en son sein impétueux ?

Suis-je humaine avant tout, ou humaine au milieu, 

entourée du Vivant pour y vivre un peu mieux ?

Pour démêler un peu tous ces tâtonnements

je me laisse enlever par l’appel paysan. 

Explorer émotions, et collectivité,

interdépendances, et complémentarités.

Inquiète et maladroite, je me lance en chemin

à la rencontre de ceux qui le veulent bien.

Donner mon énergie, me laisser inspirer,

prendre le temps, trouver ma place, à leurs côtés.

Finalement nombreux à ouvrir leurs oreilles, 

de mes maux et leurs mots nos dîners s’ensommeillent.

A la fin des jours chauds, douces s’ouvrent les nuits,

nos efforts se reposent, mais pas nos esprits.

Dans la complicité, partageant l’habitude,

les échanges s’emmêlent en flots d’incertitudes

et dans de grands éclats d’émotions et de larmes,

plus d’une fois je me vois abaisser mes armes.

Devenue voyageuse – et pourquoi pas nomade ?

L’être me sert de guide, enfouissant la parade.

De logistique et pour toute satisfaction,

je n’emporte avec moi que livres et crayons ;

espérant qu’entre deux tomates et brebis

je m’exprime en couleurs et pose par écrit,

tout ce que j’en ressens, comprends et tire envie.

Il ne tiendra qu’à moi d’y adapter ma vie.

Face à moi, lumineux, concentrés et sereins,

des faiseurs de paysages décrivent des mains

les plaisirs et labeurs qui font leurs quotidiens.

Imprégnés d’idéaux, ils restent des humains.

Balbutiants aidants des arbres et des foins,

couvrant de leurs regards des sols leur rendant bien,

ils œuvrent leur possible à cultiver le lien

qui les rattache entre eux, aux autres, chaque matin.

Admirable bonté de livrer ses entrailles,

sa force et sa passion, nourrissant le sérail

des bipèdes martiaux ne sachant estimer

à leur juste valeur, la vache et son fermier.

Réapprendre à aimer, capter dans leurs visages

les fulgurantes joies : voilà le vrai voyage. 

La Terre est à leurs pieds mais ne se soumet point ;

ils n’en sont après tout que les humbles gardiens.