MOUVEMENT

Quand j’ai décidé de me lancer dans ma formation à l’École d’Agroécologie Voyageuse, je venais tout juste de finir mon service civique qui clôturait mes 4 premières années d’études à Lyon. J’avais hâte de quitter la ville, impatiente de me lancer dans une voie qui  allait concrétiser une vision qui m’a toujours porté, depuis l’enfance : celle de devenir fermière.  

Hannah Charpin (Ban’Hannah pour les intimes et les followers)

Cette nouvelle opportunité d’apprentissage que je m’offrais me faisait me sentir légère et solaire, comme des paillettes de pollen transportées par la brise printanière.  Je sentais que c’était une décision juste, qui allait me sortir de ma zone de confort tout en  me donnant accès à un nouvel espace de confort intérieur.  

Me donner de la liberté tout en ayant des repères.  

Me donner une direction tout en laissant émerger des chemins de traverse.   

Apprendre 

en

itinérance. 

Moi qui n’avais jamais voyagé ni seule, ni longtemps, ça me faisait étrange de m’imaginer vadrouiller 6 mois et demi, surtout parce que je n’avais encore pas trop d’idées pour mon  parcours voyageur. Pour moi jusque là, l’apprentissage se faisait assis sur une chaise rigide, un écran posé devant les yeux, dans une posture passive, parfois active mentalement mais jamais alignée avec mes trois repères: la tête, le corps et le cœur. Je  m’étais adaptée et conformée à ces modes d’apprentissages, qui ont quand même eu des effets bénéfiques pour moi, mais je sentais la curiosité me piquer avec ce parcours Forêt proposé par l’association les Agron’Hommes.  

Là. Oui, là, je sentais bien qu’il s’agissait d’autre chose. Ce qu’Opaline, July, Athénaïs et Jézabel—les accompagnatrices de la formation — appellent la Pédagogie du Vivant allait me faire sortir des murs bétonnés internes et externes, pour assimiler des savoirs dans les champs d’une agriculture gardienne de la vie des sols et des êtres  vivants.  

« Ce que les accompagnatrices de la formation appellent la Pédagogie du Vivant allait me faire sortir des murs bétonnés internes et externes, pour assimiler des savoirs dans les champs d’une agriculture gardienne de la vie des sols et des êtres vivants »

Morceau de paysage hivernale aux fermes de Ségur

En passant les cinq premières semaines de formation en Sologne, avec 9 autres participant-e-s et l’équipe d’accompagnatrices, j’ai tout laissé couler de mes expériences passées pour pleinement m’ancrer dans cette nouvelle phase, qui se voulait enracinée.  

Se permettre d’apprendre en et avec mouvement, c’est assez rare quand on y pense. Je ne voudrais pas, entrer dans une longue énumération des apprentissages que j’ai traversé depuis mon entrée à l’EAV, mais je souhaite donner la saveur d’un quotidien guidé par l’action, l’alignement intérieur et la poésie. 

1. Un réseau d’ami(es)-corhize : 

Un des piliers de cette formation, c’est la rencontre et la création d’un collectif de  nomades soudé-e-s et lié-e-s par des expériences communes, tissé au fil des jours :  l’autogestion de la vie dans un gîte les 5 premières semaines de formation, les visites de fermes, les initiations à la communication non violente, les matins de connexion à soi et aux autres, les ateliers théâtre, l’expression des mouvements intérieurs, les talents partagés… On se frotte, on se pique, on s’enlace dans la vie collective qui bouillonne, et  où chaque personne est comme un ingrédient qui vient alimenter la marmite d’une communauté qui souhaite œuvrer pour que la vie pulse partout, et pour que chacun-e  puisse la goûter.  

L’issue de ces semaines collectives a un goût de terre, de racine et de mycelium, car ce qui s’est joué dans cet espace cocon s’étire dans les pas des voyageurs et voyageuses qui suivent l’élan de leurs cœurs et de leur mains, prêt à œuvrer dans des fermes aux  pratiques respectueuses, douces et résilientes, déjà présentes dans le réseau mycorhizien  de l’École d’Agroécologie Voyageuse.  

Premières expériences à l’Ecole d’Agroécologie Voyageuse

2. Suivre son propre fil, dans la grande pelote agroécologique 

L’apprentissage en mouvement, c’est aussi savoir écouter ses propres élans. Quand j’y  repense, ça n’a pas été une mince affaire pour moi que de me faire confiance et de paver mon chemin avec mes propres briques, outillée néanmoins par les conseils de nos accompagnatrices, dont deux – July et Athénaïs –  ayant préalablement vécu le parcours  voyageur.  

Je sentais la vibration des mots « artisanat » et « paysannerie » ricocher en moi, et  lorsque j’ai rencontré Alexandrine de l’association Au Fil des Toisons, qui filait de la laine au soleil et en chaussettes, lors d’une Fête de l’Automne dans un petit village voisin, je savais que j’allais dédier mon parcours à la filière laine française. 

Quel lien y-a-t-il a tisser entre la production de fibres textiles paysannes artisanales et  l’agroécologie ?  J’en avais une vague idée, notamment parce que je savais que l’industrie textile a des  impacts similaires à ceux de l’agriculture intensive dans la filière agroalimentaire. Cette question me faisait démêler d’autres questionnements internes : Comment se vêtir sans pétrole ? Comment créer un lien avec un animal, autrement que par ses qualités nutritives ? Comment valoriser un déchet agricole et faire rayonner des savoirs-faire encore préservés et apprendre moi aussi ces gestes ancestraux ? 

Pauline, de la ferme de la Baccade

Me voilà lancée dans cette grande aventure que je baptise ENTRE LES MAILLES, où je pars à la découverte des fibres textiles naturelles, paysannes et artisanales, aux quatre coins de la France, grâce à mes rencontres aux Journées Nationales de la Laine qui se  tenaient fin octobre dans la Creuse.  

Depuis mi-novembre, je me déplace donc dans des lieux où la fibre de brebis, de chèvres, d’alpagas et de lapin a bon dos. Elle y est précieuse, valorisée et travaillée. Je documente  mes découverte sur ma chaine Youtube et sur une page instagram dédiée, qui me permet de faire rayonner mes apprentissages et qui vient compléter la satisfaction que j’éprouve à  être « une petite araignée qui tisse le lien entre différents projets lainiers », pour emprunter l’expression à Pauline de la Ferme de la Baccade dans le Limousin, chez qui j’étais en  stage pendant 2 semaines et demi. 

3. Rencontrer, bouger, diffuser, se lier et reprendre sa route: la danse de l’itinérance  

Une des dernières choses que j’aimerais ancrer ici, c’est le bouquet intérieur qui gît et vit en moi dans ma danse avec l’itinérance choisie. Le mouvement peut être un compagnon de route fort agréable, une bouffée d’oxygène, un moteur, un drapeau hissé qui s’élance à l’assaut d’un avenir très incertain et qui permet de garder le cap. Parfois aussi, le mouvement fait la sensation d’un pansement qu’on n’a peur d’arracher, prend la saveur de l’écume qui nous arrache aux rivages sableux d’une illusoire stabilité. Parfois, le mouvement nous interdit le geste intime de déposer sa brosse à dent dans le gobelet du  lavabo d’une salle de bain devenue intime.  

« Parfois, le mouvement nous interdit le geste intime de déposer sa brosse à dent dans le gobelet du  lavabo d’une salle de bain devenue intime »

Mais dans toute cette danse, dans tout ces élans, dans toute l’effervescence des émotions qu’elle suscite, jamais je n’aurais pensé possible être autant dans la joie que depuis que j’erre dans différentes régions de France, à la rencontre de paysans, paysannes, artisans,  artisanes, qui cultivent le lien avec la beauté et la vie, prêts à m’ouvrir les portes de leurs  fermes, de leurs ateliers et de leurs cœurs.  

Apprendre en mouvement, c’est étendre ses paumes à l’inconnu, planter les graines de nouvelles expériences, cueillir des premières fois, faire du tri dans ses priorités, laisser des idées monter en graines, venir perturber ses habitudes en les taillant ras, se laisser surprendre par la présence de bourgeons qu’on pensait fragiles, tisser des promesses avec les herbes hautes qui dansent au gré du vent.  

Le mouvement m’apprend les pas d’une danse qui oscille entre le lâcher prise et la rigueur. Le mouvement est un arbre dont les racines me chatouillent les veines et dont les  branches m’élèvent vers plus grand que moi. Le mouvement est un tronc avec lequel on  peut aussi faire une barque, pour voguer avec aisance dans les courants d’une existence vibrante, vivante dans l’amour de soi et l’amour des autres. 

L’itinérance m’apprend à me mettre au centre de ma propre vie, à prendre de la hauteur  sans me sentir au dessus de tout. Elle m’apprend à me donner une place juste et  mouvante, loin d’une chaise rigide et d’une posture passive.

🐝 Pour suivre le parcours d’Hannah : @entrelesmailles (instagram) et @hannahbanana (Youtube)